Syrie et Israël : derrière les négociations
La confirmation des dialogues entre Israël et la Syrie (voir article) amène quelques commentaires (au moins dans l'analyse du Proche-Orient, cf. mon billet)
Engagés de façon secrète depuis un an, leur officialisation intervient à un moment qui n'est pas anodin :
- poursuite cahotique des négociations entre Israël et Palestiniens, sous la pression des Etats-Unis (quoi qu'on en dise : Condie Rice était dans le coin environ une fois par mois depuis un an)
- admission par tous les acteurs qu'il faut incorporer, d'une façon ou d'une autre, le Hamas ; d'où des entremises discrètes ou non (Egypte, France, autres...)
- affaire du Hezbollah au Liban, réglée par l'entremise du Quatar (autre entremetteur inattendu)
- persistance en Syrie d'un régime qui reste laïque, et qui, n'en déplaise aux Américains, paraît plus fréquentable à Israël que bien d'autres. La succession Hassad est entrée dans les moeurs, et personne ne doute plus de la capacité de Béchir à tenir le pays.
- événements qui, en d'autres temps, auraient provoqué une montée extrême de la tension et qui ont été digérés paisiblement : je veux parler de la destruction par l'aviation israélienne d'une centrale nucléaire syrienne (6 IX 07), et de l'attentat contre un dirigeant militaire du Hezbollah en plein Damas (12 II 08). Ces deux événements ont eu lieu après le début des pourparlers entre Damas et Tel-Aviv. Souvenez-vous de ma perpléxité (ici)
Il semble donc que malgré la fragilité politique de M. Olmert (ou peut-être à cause d'elle, puisque les médias israéliens le soupçonnent d'officialiser ce dialogue afin de détourner les enquêtes intérieures sur sa corruption supposée), on sent l'acceptation, en Israël, de l'idée d'un retour aux frontières de 1967.
- le retrait unilatéral de Gaza en a été la première étape
- la négociation sur le Golan en serait la seconde (même s'il a été officiellement annexé en 1981). Elle prendrait probablement en compte le cas des fermes de Chebah, à la frontière avec le Liban, qui sert de prétexte territorial au Hezbollah
- la Cisjordanie viendrait alors clore le processus.
L'opinion publique israélienne est contre l'abandon du Golan. En rendant publiques ces négociations, M. Olmert voudrait ainsi en faire au moins accepter l'idée.
Sur le fond, le différend porte encore sur quelques points identifiés :
- le partage de l'eau, même si la question semble la plus facile à résoudre
- l'accès syrien à la rive orientale du lac de Tibériade
- les 20 000 colons israéliens (mais il y a le précédent de Gaza). Rappellons que 150 000 Syriens avaient fui devant l'invasion, et qu'il ne reste plus que 18 000 Druzes sur le plateau, qui refusent d'ailleurs l'identité israélienne.
Ainsi, ce territoire est plus vide qu'il ne l'était il y a cinquante ans. D'une certaine façon, c'est un espace "colonisable". Peut-être faut-il voir là une arrière pensée israélienne : abandonner le Golan en échange de l'installation de populations palestiniennes, ce qui mettrait fin au droit au retour.... C'est une hypothèse, non une information !
Que dire de plus ?
- Que la dimension stratégique du plateau a perdu de sa pertinence maintenant que le Hezbollah a des roquettes capables de frapper jusqu'au coeur d'Israël : l'évolution technique a rattrapé les conditions géographiques, et a modifié leur importance "géostratégique". Autrement dit, il n'y a plus besoin de tenir les hauts pour tenir les bas. Voici un exemple supplémentaire des conséquences géoppolitiques du progrès technique
- Qu'il s'agit, proprement, d'une question géopolitique classique, où des puissances s'affrontent sur des questions de territoires habités. Et malgré les discours politiques qui ont été tenus depuis plus de vingt ans, le Golan ne participe pas, de part et d'autre, à une représentation identitaire fondamentale. Cela facilite évidemment la recherche de compromis.
- Que chacun affirme qu'il faudra l'approbation américaine. Mais Israel prend là M. Bush au mot, qui se présente comme persuadé de la paix à court terme. Cette approbation ne viendra que si Washington oubliera un temps quelques unes de ses descrip^ions géopolitiques :
- Celle d'un "Moyen-Orient" qui irait de la Méditerranée au Golfe persique
- par conséquent, celle de l'axe chiite Téhéran - Damas - Saïda
- celle d'un "axe du mal" auquel appartiendrait forcément la Syrie
- celle de la prolifération
- celle de la débaasification, (comme si le Baas syrien ressemblait vraiment au Baas irakien)
- Que Damas ne signera que si Washington accepte de transiger, comme il l'a fait avec la Corée du nord ou avec la Turquie. La respectabilité contre la paix.
Enfin, parlons de la Turquie :
Elle est incontestablement une puissance proche-orientale (voir article): je cite : "Dans un article publié en 2008, cet universitaire [le conseiller diplomatique de M. Erdogan, Ahmet Davutoglu] a théorisé la "nouvelle vision de la Turquie en matière de politique étrangère" : une "politique étrangère multidimensionnelle", une diplomatie pragmatique qui permette à la Turquie de "garantir sa propre stabilité et sa sécurité en apportant l'ordre, la stabilité et la sécurité dans ses environs". Selon le conseiller du premier ministre, la normalisation des relations avec les voisins directs est prioritaire".
Le commentateur voit forcément deux choses :
- d'une part, une sorte de néo-ottomanisme (la Turquie ayant l'habitude de ces pays qu'elle a, autrefois, dominé). Mais il n'y a visiblement pas de relent anti-colonialiste contre la Turquie ottomane, à la différence des puissances mandataires ;
- d'autre part, les conséquences d'une prise de conscience turque : elle ne sera admise par l'opinion publique européenne que si elle vit dans un environnement pacifié. Elle doit donc apaiser son voisinage pour se hausser au nouveau standard européen (pas de guerre entre nous, pas de guerre à nos frontières).
Olivier Kempf
Cette carte a été copiée sur le site du Monde à l'adresse : http://www.lemonde.fr/web/infog/0,47-0@2-3218,54-1047913@51-1047628,0.html
Engagés de façon secrète depuis un an, leur officialisation intervient à un moment qui n'est pas anodin :
- poursuite cahotique des négociations entre Israël et Palestiniens, sous la pression des Etats-Unis (quoi qu'on en dise : Condie Rice était dans le coin environ une fois par mois depuis un an)
- admission par tous les acteurs qu'il faut incorporer, d'une façon ou d'une autre, le Hamas ; d'où des entremises discrètes ou non (Egypte, France, autres...)
- affaire du Hezbollah au Liban, réglée par l'entremise du Quatar (autre entremetteur inattendu)
- persistance en Syrie d'un régime qui reste laïque, et qui, n'en déplaise aux Américains, paraît plus fréquentable à Israël que bien d'autres. La succession Hassad est entrée dans les moeurs, et personne ne doute plus de la capacité de Béchir à tenir le pays.
- événements qui, en d'autres temps, auraient provoqué une montée extrême de la tension et qui ont été digérés paisiblement : je veux parler de la destruction par l'aviation israélienne d'une centrale nucléaire syrienne (6 IX 07), et de l'attentat contre un dirigeant militaire du Hezbollah en plein Damas (12 II 08). Ces deux événements ont eu lieu après le début des pourparlers entre Damas et Tel-Aviv. Souvenez-vous de ma perpléxité (ici)
Il semble donc que malgré la fragilité politique de M. Olmert (ou peut-être à cause d'elle, puisque les médias israéliens le soupçonnent d'officialiser ce dialogue afin de détourner les enquêtes intérieures sur sa corruption supposée), on sent l'acceptation, en Israël, de l'idée d'un retour aux frontières de 1967.
- le retrait unilatéral de Gaza en a été la première étape
- la négociation sur le Golan en serait la seconde (même s'il a été officiellement annexé en 1981). Elle prendrait probablement en compte le cas des fermes de Chebah, à la frontière avec le Liban, qui sert de prétexte territorial au Hezbollah
- la Cisjordanie viendrait alors clore le processus.
L'opinion publique israélienne est contre l'abandon du Golan. En rendant publiques ces négociations, M. Olmert voudrait ainsi en faire au moins accepter l'idée.
Sur le fond, le différend porte encore sur quelques points identifiés :
- le partage de l'eau, même si la question semble la plus facile à résoudre
- l'accès syrien à la rive orientale du lac de Tibériade
- les 20 000 colons israéliens (mais il y a le précédent de Gaza). Rappellons que 150 000 Syriens avaient fui devant l'invasion, et qu'il ne reste plus que 18 000 Druzes sur le plateau, qui refusent d'ailleurs l'identité israélienne.
Ainsi, ce territoire est plus vide qu'il ne l'était il y a cinquante ans. D'une certaine façon, c'est un espace "colonisable". Peut-être faut-il voir là une arrière pensée israélienne : abandonner le Golan en échange de l'installation de populations palestiniennes, ce qui mettrait fin au droit au retour.... C'est une hypothèse, non une information !
Que dire de plus ?
- Que la dimension stratégique du plateau a perdu de sa pertinence maintenant que le Hezbollah a des roquettes capables de frapper jusqu'au coeur d'Israël : l'évolution technique a rattrapé les conditions géographiques, et a modifié leur importance "géostratégique". Autrement dit, il n'y a plus besoin de tenir les hauts pour tenir les bas. Voici un exemple supplémentaire des conséquences géoppolitiques du progrès technique
- Qu'il s'agit, proprement, d'une question géopolitique classique, où des puissances s'affrontent sur des questions de territoires habités. Et malgré les discours politiques qui ont été tenus depuis plus de vingt ans, le Golan ne participe pas, de part et d'autre, à une représentation identitaire fondamentale. Cela facilite évidemment la recherche de compromis.
- Que chacun affirme qu'il faudra l'approbation américaine. Mais Israel prend là M. Bush au mot, qui se présente comme persuadé de la paix à court terme. Cette approbation ne viendra que si Washington oubliera un temps quelques unes de ses descrip^ions géopolitiques :
- Celle d'un "Moyen-Orient" qui irait de la Méditerranée au Golfe persique
- par conséquent, celle de l'axe chiite Téhéran - Damas - Saïda
- celle d'un "axe du mal" auquel appartiendrait forcément la Syrie
- celle de la prolifération
- celle de la débaasification, (comme si le Baas syrien ressemblait vraiment au Baas irakien)
- Que Damas ne signera que si Washington accepte de transiger, comme il l'a fait avec la Corée du nord ou avec la Turquie. La respectabilité contre la paix.
Enfin, parlons de la Turquie :
Elle est incontestablement une puissance proche-orientale (voir article): je cite : "Dans un article publié en 2008, cet universitaire [le conseiller diplomatique de M. Erdogan, Ahmet Davutoglu] a théorisé la "nouvelle vision de la Turquie en matière de politique étrangère" : une "politique étrangère multidimensionnelle", une diplomatie pragmatique qui permette à la Turquie de "garantir sa propre stabilité et sa sécurité en apportant l'ordre, la stabilité et la sécurité dans ses environs". Selon le conseiller du premier ministre, la normalisation des relations avec les voisins directs est prioritaire".
Le commentateur voit forcément deux choses :
- d'une part, une sorte de néo-ottomanisme (la Turquie ayant l'habitude de ces pays qu'elle a, autrefois, dominé). Mais il n'y a visiblement pas de relent anti-colonialiste contre la Turquie ottomane, à la différence des puissances mandataires ;
- d'autre part, les conséquences d'une prise de conscience turque : elle ne sera admise par l'opinion publique européenne que si elle vit dans un environnement pacifié. Elle doit donc apaiser son voisinage pour se hausser au nouveau standard européen (pas de guerre entre nous, pas de guerre à nos frontières).
Olivier Kempf
Cette carte a été copiée sur le site du Monde à l'adresse : http://www.lemonde.fr/web/infog/0,47-0@2-3218,54-1047913@51-1047628,0.html