Le CEMA parle
Le général Georgelin vient de donner un entretien au Figaro (voir ici).
Comme il s'agit de la page débat du journal, j'imagine qu'on a le droit de le commenter.
1/ tout d'abord, il est symptomatique qu'il se refuse à évoquer l'actualité récente. Il faut dire qu'entre le Livre blanc, l'affaire de Carcassonne, Surcouf et la démission du CEMAT, cette actualité a été chargée. Et qu'il était temps qu'on élève le niveau.
2/ Il cite "L'étrange défaite" de Marc Bloch (voir ici). Je l'ai lu il y a quelques années, avant qu'il ne connaisse la vogue actuelle. Bien sûr, il faut le lire. Parce qu'on y apprend surtout que la défaite n'est pas due seulement à des défaillances politiques, comme l'hagiographie gaulliste l'expliqua à tour de bras (même s'il y a eu, aussi, des défaillances politiques) ; mais également à des défaillances militaires : choix stratégiques hasardeux, manières de travailler engoncées et conformisme intellectuel des militaires en état-major.
En clair, c'est la chaîne de commandement qui a alors failli.
Par manque de courage intellectuel.
.... ce texte est-il aujourd'hui d'actualité ?....... !!!!!
3/ Je note le ton général du texte, qui cherche à redonner grandeur et noblesse au métier de soldat. Il est de ce point de vue réconfortant, surtout qu'on avait pu s'interroger, de-ci de-là, sur le silence du CEMA après la démission du général Cuche. Associer Thucydide et l'esprit de sacrifice, c'est chouette.
4/ Il faut enfin remarquer une critique en creux de la ligne officielle :
" L'armée française doit pouvoir intervenir dans trois directions : faire face à une brusque aggravation de la situation internationale, lutter contre l'instabilité dans le cadre de nos engagements internationaux, participer à la protection de nos intérêts et de nos concitoyens notamment dans des opérations à caractère civil sur le territoire national, comme lors de catastrophes naturelles, par exemple. Nous aurions tort de croire que nous pouvons privilégier un de ces axes au détriment des deux autres"
Pas besoin d'expliquer !
Et plus loin :
" Qu'est-ce que la guerre aujourd'hui ? À quels types de conflits faut-il se préparer, au moment où les technologies (et notamment les technologies de l'information et de la communication) ont considérablement évolué ? Il faut tirer avantage des possibilités qu'offre la technologie, mais croire que nous pouvons protéger notre société sans prendre de risques est une dangereuse illusion. Pour être respecté, il faut savoir prendre des risques humains."
Dans ce dernier passage, je discerne une allusion à la primauté donnée au renseignement technique. Ca renvoie au mot du CEMA, prononcé il y a quelques mois, où il affirmait que savoir sans pouvoir agir ne servait de rien.
5/ Sur la réflexion stratégique et la liberté de parole des officiers, on retiendra:
" Alors, c'est vrai, en France on écrit moins qu'aux États-Unis. Mais j'observe avec satisfaction que cela évolue. ".
Et plus loin : " C'est précisément parce que la situation est plus difficile que la réflexion est encore plus nécessaire. La réflexion, notamment par l'écriture, est propice à l'homme d'action pour éviter qu'il ne dérape. Réfléchir à quoi ? Il paraît important de réfléchir sans cesse à ce qu'est que la guerre aujourd'hui. "
On discerne là la tolérance affichée par le CEMA envers Surcouf, "piqure de moustique" sans importance. Non parce que Surcouf a raison ou tort, mais parce que le CEMA juge bon que le débat s'instaure. Et l'instaure lui-même, dans ses termes.
C'est du moins ainsi que je comprends les choses. Et j'espère que ce blog contribue, très modestement et à son exemple, à ce débat.
Olivier Kempf
Comme il s'agit de la page débat du journal, j'imagine qu'on a le droit de le commenter.
1/ tout d'abord, il est symptomatique qu'il se refuse à évoquer l'actualité récente. Il faut dire qu'entre le Livre blanc, l'affaire de Carcassonne, Surcouf et la démission du CEMAT, cette actualité a été chargée. Et qu'il était temps qu'on élève le niveau.
2/ Il cite "L'étrange défaite" de Marc Bloch (voir ici). Je l'ai lu il y a quelques années, avant qu'il ne connaisse la vogue actuelle. Bien sûr, il faut le lire. Parce qu'on y apprend surtout que la défaite n'est pas due seulement à des défaillances politiques, comme l'hagiographie gaulliste l'expliqua à tour de bras (même s'il y a eu, aussi, des défaillances politiques) ; mais également à des défaillances militaires : choix stratégiques hasardeux, manières de travailler engoncées et conformisme intellectuel des militaires en état-major.
En clair, c'est la chaîne de commandement qui a alors failli.
Par manque de courage intellectuel.
.... ce texte est-il aujourd'hui d'actualité ?....... !!!!!
3/ Je note le ton général du texte, qui cherche à redonner grandeur et noblesse au métier de soldat. Il est de ce point de vue réconfortant, surtout qu'on avait pu s'interroger, de-ci de-là, sur le silence du CEMA après la démission du général Cuche. Associer Thucydide et l'esprit de sacrifice, c'est chouette.
4/ Il faut enfin remarquer une critique en creux de la ligne officielle :
" L'armée française doit pouvoir intervenir dans trois directions : faire face à une brusque aggravation de la situation internationale, lutter contre l'instabilité dans le cadre de nos engagements internationaux, participer à la protection de nos intérêts et de nos concitoyens notamment dans des opérations à caractère civil sur le territoire national, comme lors de catastrophes naturelles, par exemple. Nous aurions tort de croire que nous pouvons privilégier un de ces axes au détriment des deux autres"
Pas besoin d'expliquer !
Et plus loin :
" Qu'est-ce que la guerre aujourd'hui ? À quels types de conflits faut-il se préparer, au moment où les technologies (et notamment les technologies de l'information et de la communication) ont considérablement évolué ? Il faut tirer avantage des possibilités qu'offre la technologie, mais croire que nous pouvons protéger notre société sans prendre de risques est une dangereuse illusion. Pour être respecté, il faut savoir prendre des risques humains."
Dans ce dernier passage, je discerne une allusion à la primauté donnée au renseignement technique. Ca renvoie au mot du CEMA, prononcé il y a quelques mois, où il affirmait que savoir sans pouvoir agir ne servait de rien.
5/ Sur la réflexion stratégique et la liberté de parole des officiers, on retiendra:
" Alors, c'est vrai, en France on écrit moins qu'aux États-Unis. Mais j'observe avec satisfaction que cela évolue. ".
Et plus loin : " C'est précisément parce que la situation est plus difficile que la réflexion est encore plus nécessaire. La réflexion, notamment par l'écriture, est propice à l'homme d'action pour éviter qu'il ne dérape. Réfléchir à quoi ? Il paraît important de réfléchir sans cesse à ce qu'est que la guerre aujourd'hui. "
On discerne là la tolérance affichée par le CEMA envers Surcouf, "piqure de moustique" sans importance. Non parce que Surcouf a raison ou tort, mais parce que le CEMA juge bon que le débat s'instaure. Et l'instaure lui-même, dans ses termes.
C'est du moins ainsi que je comprends les choses. Et j'espère que ce blog contribue, très modestement et à son exemple, à ce débat.
Olivier Kempf