Clausewitz (Livre I, Chap. I, 3)
Dans ce paragraphe, CvC aborde l'influence de la passion et de la raison dans la guerre.
1/ Il part du philantropisme de ceux qui espèrent modérer la guerre (constatons, en passant, que cette catégorie est fort nombreuse de nos jours : n'est-ce pas, la guerre, c'est mal. A quoi il faut répondre : c'est peut-être mal, mais d'abord, c'est).
Et il constate : "Les pires erreurs sont celles que nourissent les bons sentiments". Les deux adversaires vont donc utiliser tous les moyens à leur disposition, "si bien qu'ils se pressent l'un l'autre vers des extrémités que seules limitent les forces de l'adversaire". C'est le premier exposé de la doctrine de l'ascension aux extrêmes, si fameuse chez CVC. Il n'est pas anodin qu'elle apparaisse ainsi, si tôt dans le texte.
2/ CVC s'interroge alors : pourquoi les guerres entre nations civilisées sont-elles moins destructrices que les auters? "cela tient à l'état de la société à l'intérieur, et dans ses relatrions extérieures". On est un peu surpris de ce propos : l'histoire, et notamment celle du XX° siècle, a montré que même entre "civilisés" on montait aux extrêmes. Peut-être faut-il ici préciser que le seuil de déclenchement de la force brute est plus élevé chez les nations civilisées... où il y aurait plus de freins.... quoique...
Car si le lecteur n'est pas très convaincu, il a rapidement le sentiment que Clausewitz non plus.
3/ En effet, CVC évoque immédiatement après la question des "mobiles d'affrontement". Il retient "l'hostilité émotionnelle et l'intention hostile" pour immédiatement ajouter : "nous avons retenu cette dernière comme pierre d'angle de notre définition car elle est la plus générale". A la question des causes de la guerre, ignorée dans le paragraphe précédent (voir notre billet), CVC témoigne d'hésitations apparentes. Une remarque ici : la pensée de CVC est échevelée, en construction, et d'une certain façon inachevée. Il s'agit de notes de cours, première cause d'inachèvement, et d'autre part de témoins d'une pensée qui s'est construite sur plusieurs années. Toutefois, celà en augmente la richesse. Il faut donc admettre, me semble-t-il, les variations locales.
4/ Revenons au texte. CVC ajoute que dans la "passion haineuse" on discerne l'intention hostile. "Les intentions dominées par les passions hostiles dominent les peuples incultes, alors que l'entendement inspire les peuples civilisés". Ce n'est donc "pas à cette différence qu'il faut attribuer la dualité des mobiles, mais aux circonstances et aux institutions". Et CVC conclut : "il serait faux de réduire la guerre entre peuples à un simple calcul rationnel des gouvernants". Il s'agit en fait d'une critique des théoriciens stratégiques du XVIII° qui espéraient réduire la guerre à des équations. La guerre n'est pas chose exclusivement rationnelle.
5/ Car "Si la guerre est une violence en action, les passions lui appartiennent nécessairement".
Il faut garder cette phrase dans notre besace. Car elle s'applique à tous les peuples, ce que CVC remarque immédiatement. Même civilisés, même épris de raison, les peuples peuvent verser dans la passion et ôter toutes les inhibitions.
6/ CVCV en arrive alors à la conclusion de ce § : "La guerre est une violence en action, et son usage n'est limité par rien; chacun des adversaires impose à l'autre sa loi, d'où découle une interaction qui ne peut manquer, conformément à l'essence du sujet, de mener aux extrêmes. Nous rencontrons ici la première interaction, et le premier extrême".
Cette dernière phrase mérite un commentaire particulier : il s'agit pour Clausewitz de théoriser la guerre, de lui trouver des principes. Son projet s'oppose ainsi à celui de ses prédécesseurs, qui cherchait des équations, selon une vision scientifique de la matière. Pour CVC, la guerre est un art, un fait, un acte social. L'aléatoire, le particulier, le factuel y règnent. Nulle vision mécaniciste chez lui. Mais ce fait humain obéit toutefois à des principes, ce qui justifie qu'on puisse s'y intéresser.
Ou encore, CVC tient qu'on peut atteindre la vérité de la guerre par la philosophie, non par les mathématiques.
7/ Je reste toutefois un peu insatisfait par les "causes" de la guerre qu'il donne.
"Intention hostile" ? cela suggère-t-il qu'il y a intention, ce qui signifie une volonté, qui appartiendrait au domaine de la raison? Mais alors, quid de l' hostilité qui vient affecter la volonté au point de la conduire à la guerre ?
"Hostilité émotionnelle" ? mais là encore, d'où vient cette hostilité ? est-elle mue uniquement par l'émotion ? ne s'agit-il alors que d'une passion ? mais comment articuler passion et raison ?
Et encore, je ne pose pas la question du rapport entre la psychologie individuelle (le duel) et la psychologie collective, évoquée par CVC qui parlent des peuples (puisque la guerre est affaire collective).
8/ On note d'ailleurs au passage cette intuition, qui sera développée, je l'imagine, dans la suite du livre. A savoir que la guerre est affaire de peuple, ce qui est la nouveauté du moment napoléonien. La guerre, en effet, avait pu être une affaire de gouvernants, comme une affaire privée. Avec le fait révolutionnaire, amplifié par Napoléon, les peuples deviennent des acteurs de la guerre.
9/ Cela m'amène au point suivant : en mentionnant "les gouvernants", CVC introduit le politique qui aura un rôle si important par la suite. Le politique est l'instrument par lequel les peuples expriment leur "volonté". Même si celle si est inspirée par l'émotion.
Mais alors, moi qui ne cesse de critiquer les gouvernants pilotés par l'émotion, il me faut ici constater que c'est chose normale.
Il faut alors préciser : ce qui est criticable, c'est la fabrication de l'émotion, beaucoup plus allusive, éparpillée, fragmentée qu'autrefois : en clair, fabriquée par le journal de vingt heures dont chaque sujet peut nécessiter une "action" du gouvernant (loi, commission, envoi de ministre, intervention diplomatique, projection de troupes, ....).
10/ Car, en allant un peu plus loin que Clausewitz, il faut bien constater que "la guerre est une passion". Et le géopolitologue ne peut que rester interdit devant le mécanisme déclencheur de la guerre dont CVC ne dit rien (pour l'instant).
Olivier Kempf
1/ Il part du philantropisme de ceux qui espèrent modérer la guerre (constatons, en passant, que cette catégorie est fort nombreuse de nos jours : n'est-ce pas, la guerre, c'est mal. A quoi il faut répondre : c'est peut-être mal, mais d'abord, c'est).
Et il constate : "Les pires erreurs sont celles que nourissent les bons sentiments". Les deux adversaires vont donc utiliser tous les moyens à leur disposition, "si bien qu'ils se pressent l'un l'autre vers des extrémités que seules limitent les forces de l'adversaire". C'est le premier exposé de la doctrine de l'ascension aux extrêmes, si fameuse chez CVC. Il n'est pas anodin qu'elle apparaisse ainsi, si tôt dans le texte.
2/ CVC s'interroge alors : pourquoi les guerres entre nations civilisées sont-elles moins destructrices que les auters? "cela tient à l'état de la société à l'intérieur, et dans ses relatrions extérieures". On est un peu surpris de ce propos : l'histoire, et notamment celle du XX° siècle, a montré que même entre "civilisés" on montait aux extrêmes. Peut-être faut-il ici préciser que le seuil de déclenchement de la force brute est plus élevé chez les nations civilisées... où il y aurait plus de freins.... quoique...
Car si le lecteur n'est pas très convaincu, il a rapidement le sentiment que Clausewitz non plus.
3/ En effet, CVC évoque immédiatement après la question des "mobiles d'affrontement". Il retient "l'hostilité émotionnelle et l'intention hostile" pour immédiatement ajouter : "nous avons retenu cette dernière comme pierre d'angle de notre définition car elle est la plus générale". A la question des causes de la guerre, ignorée dans le paragraphe précédent (voir notre billet), CVC témoigne d'hésitations apparentes. Une remarque ici : la pensée de CVC est échevelée, en construction, et d'une certain façon inachevée. Il s'agit de notes de cours, première cause d'inachèvement, et d'autre part de témoins d'une pensée qui s'est construite sur plusieurs années. Toutefois, celà en augmente la richesse. Il faut donc admettre, me semble-t-il, les variations locales.
4/ Revenons au texte. CVC ajoute que dans la "passion haineuse" on discerne l'intention hostile. "Les intentions dominées par les passions hostiles dominent les peuples incultes, alors que l'entendement inspire les peuples civilisés". Ce n'est donc "pas à cette différence qu'il faut attribuer la dualité des mobiles, mais aux circonstances et aux institutions". Et CVC conclut : "il serait faux de réduire la guerre entre peuples à un simple calcul rationnel des gouvernants". Il s'agit en fait d'une critique des théoriciens stratégiques du XVIII° qui espéraient réduire la guerre à des équations. La guerre n'est pas chose exclusivement rationnelle.
5/ Car "Si la guerre est une violence en action, les passions lui appartiennent nécessairement".
Il faut garder cette phrase dans notre besace. Car elle s'applique à tous les peuples, ce que CVC remarque immédiatement. Même civilisés, même épris de raison, les peuples peuvent verser dans la passion et ôter toutes les inhibitions.
6/ CVCV en arrive alors à la conclusion de ce § : "La guerre est une violence en action, et son usage n'est limité par rien; chacun des adversaires impose à l'autre sa loi, d'où découle une interaction qui ne peut manquer, conformément à l'essence du sujet, de mener aux extrêmes. Nous rencontrons ici la première interaction, et le premier extrême".
Cette dernière phrase mérite un commentaire particulier : il s'agit pour Clausewitz de théoriser la guerre, de lui trouver des principes. Son projet s'oppose ainsi à celui de ses prédécesseurs, qui cherchait des équations, selon une vision scientifique de la matière. Pour CVC, la guerre est un art, un fait, un acte social. L'aléatoire, le particulier, le factuel y règnent. Nulle vision mécaniciste chez lui. Mais ce fait humain obéit toutefois à des principes, ce qui justifie qu'on puisse s'y intéresser.
Ou encore, CVC tient qu'on peut atteindre la vérité de la guerre par la philosophie, non par les mathématiques.
7/ Je reste toutefois un peu insatisfait par les "causes" de la guerre qu'il donne.
"Intention hostile" ? cela suggère-t-il qu'il y a intention, ce qui signifie une volonté, qui appartiendrait au domaine de la raison? Mais alors, quid de l' hostilité qui vient affecter la volonté au point de la conduire à la guerre ?
"Hostilité émotionnelle" ? mais là encore, d'où vient cette hostilité ? est-elle mue uniquement par l'émotion ? ne s'agit-il alors que d'une passion ? mais comment articuler passion et raison ?
Et encore, je ne pose pas la question du rapport entre la psychologie individuelle (le duel) et la psychologie collective, évoquée par CVC qui parlent des peuples (puisque la guerre est affaire collective).
8/ On note d'ailleurs au passage cette intuition, qui sera développée, je l'imagine, dans la suite du livre. A savoir que la guerre est affaire de peuple, ce qui est la nouveauté du moment napoléonien. La guerre, en effet, avait pu être une affaire de gouvernants, comme une affaire privée. Avec le fait révolutionnaire, amplifié par Napoléon, les peuples deviennent des acteurs de la guerre.
9/ Cela m'amène au point suivant : en mentionnant "les gouvernants", CVC introduit le politique qui aura un rôle si important par la suite. Le politique est l'instrument par lequel les peuples expriment leur "volonté". Même si celle si est inspirée par l'émotion.
Mais alors, moi qui ne cesse de critiquer les gouvernants pilotés par l'émotion, il me faut ici constater que c'est chose normale.
Il faut alors préciser : ce qui est criticable, c'est la fabrication de l'émotion, beaucoup plus allusive, éparpillée, fragmentée qu'autrefois : en clair, fabriquée par le journal de vingt heures dont chaque sujet peut nécessiter une "action" du gouvernant (loi, commission, envoi de ministre, intervention diplomatique, projection de troupes, ....).
10/ Car, en allant un peu plus loin que Clausewitz, il faut bien constater que "la guerre est une passion". Et le géopolitologue ne peut que rester interdit devant le mécanisme déclencheur de la guerre dont CVC ne dit rien (pour l'instant).
Olivier Kempf