A propos de l’intégrité territoriale

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La crise géorgienne a propulsé sur le devant de la scène une notion qu’on avait oubliée, celle d’intégrité territoriale. Dans l’accord entre MM. Sarkozy et Medvedev, il n’est fait mention que de souveraineté.

 

Deux notions voisines, sur lesquelles on réfléchit peu.

 

1/ La souveraineté est double : elle est à la fois la capacité d’un Etat a organiser la vie politique de son peuple et celle à être reconnu de ses pairs comme indépendant. Cette dualité est importante, car on a du mal à la comprendre lorsqu’on entame des études de droit constitutionnel, par exemple : comment faire le lien entre la souveraineté populaire et la souveraineté nationale ? Simplement en comprenant qu’il s’agit de deux faces d’une même réalité. La face intérieure de la souveraineté est la souveraineté populaire, sa face extérieure est la souveraineté nationale. La souveraineté revêt ici la même caractéristique que la frontière, qui délimite aussi bien ceux qui sont dedans qu’elle les sépare de ceux qui sont au dehors.

 

2/ Certes, je pars de l’hypothèse que le système étatique s’organise autour d’une souveraineté populaire, sous-entendant la démocratie. Or, la souveraineté étatique, à l’intérieur, peut être impopulaire. Mais pour peu qu’elle soit présente (donc efficace), elle revêt alors les atours de la légalité, et donc d’une certaine légitimité (notons au passage que la distinction classique entre légalité et légitimité mériterait d’être revisitée, car les choses ne sont pas aussi nettes qu’il y paraît ; mais c’est un autre débat). Tout ceci explique pourquoi une tyrannie peut tout à fait revêtir la souveraineté intérieure – jusqu’à ce qu’un changement de régime établisse un autre système, tyrannique ou démocratique : mais la souveraineté s’exerce à l’intérieur.

 

3/ La souveraineté ne suppose donc pas nécessairement la démocratie. Ceci explique que s’il y a souveraineté intérieure, suffisamment établie (il faut donc une certaine durée avant que des pouvoirs révolutionnaires ou séparatistes soient reconnus), elle deviendra souveraineté nationale, ou extérieure. On comprend donc, la présence de beaucoup de dictatures à l’ONU, lieu d’expression et d’affirmation de la souveraineté extérieure. Être souverain, c’est être reconnu comme tel.

 

4/ L’intégrité territoriale est autre chose. Elle peut être considérée comme un des attributs de la souveraineté, car le territoire est une des conditions de l’Etat. L’intégrité territoriale accompagne la souveraineté. Souvent, du moins. Car il arrive, plus fréquemment qu’on ne le pense, que des litiges opposent des Etats voisins au sujet de leurs frontières communes. C’est par exemple le cas entre Japon et Russie, entre Japon et Chine, entre Chine et voisins des mers du sud, entre.... Les exemples abondent. En fait, et Michel Foucher pourrait nous le confirmer, il est probable que la majorité des Etats ont des litiges territoriaux avec un ou plusieurs voisins. Et qu’une intégrité territoriale entièrement reconnue de ses voisins est l’exception.

 

5/ Cependant, la plupart du temps, la souveraineté d’un Etat sur un territoire est un fait. Les Russes occupent les Kouriles, n’en déplaisent aux Japonais. Ceux-ci considèrent que leur intégrité territoriale est mutilée. Cela ne dégénère pas nécessairement en conflit armé. Mais, parfois, ça arrive. Ou encore, une minorité mène une lutte de libération nationale, processus classique qui réussit – ou pas. Bref, souveraineté et intégrité ne coïncident pas – ou rarement.

 

6/ Quand donc la Russie reconnaît la souveraineté de la Géorgie, elle affirme simplement que les Géorgiens ont le droit de s’organiser politiquement comme ils l’entendent (tyrannie ou démocratie ou autre). Ce qui est logique, car le 12 août, la Géorgie faisait encore partie de la CEI (qu’elle a quitté depuis). Bref, pour les Russes, rien de nouveau. Mais en refusant de reconnaître l’intégrité territoriale, ils affirment que les frontières géorgiennes sont discutables. D’une certaine façon, la Russie ne reconnaît pas la souveraineté extérieure de la Géorgie, pas complètement du moins.

 

7/ Les Occidentaux s’en offusquent. Clamant des principes. Sans apercevoir qu’ils sont contradictoires avec d’autres principes, tout autant proclamés : celui du droit des peuples à s’autodéterminer. Et qu’ils défendent une intégrité territoriale qui a été largement bafouée en Serbie, quoi qu’on en pense par ailleurs. Or, la souveraineté défendue à Tbilissi est bien celle-là qui était proclamée à Helsinki, en 1975. C’est un des deux premiers piliers qui justifia, dans la négociation, la troisième corbeille sur la démocratie, celle qui justifia tous les dissidents avec le succès que l’on sait. Est-ce un hasard si la seule organisation internationale à pouvoir intervenir en Géorgie est justement l’OSCE, héritière d’Helsinki ?

 

8/ Dans ce débat entre souveraineté et autodétermination, l’OSCE est responsable en Europe du premier principe : cela justifie sa pérennité, même si elle est contestable (voir ici).

 

9/ C’est maintenant qu’il faut lire l’excellent article (ici un extrait, à consulter entièrement en bibliothèque) de S. Zourabichvili, décidément femme d’Etat de bien plus grande envergure que l’écervelé Saakachvili. En effet, en reconnaissant ces confettis Ossètes et Abkhazes, la Russie démontre logiquement leur inviabilité. Car cela revient à admettre le principe de coïncidence absolue entre « ethnie » et Etat. J’ai critiqué par ailleurs cette illusion mortifère de l’ethnie, gros mot utilisé à toutes les sauces sans recevoir jamais de définition moderne –ou du moins, de définition décrivant ce qu’est une ethnie dans notre monde moderne et post-industriel.

 

10/ Cela pourrait conduire à une résolution du cas kossovien, même si ce n’est pas forcément ce qu’avait prévu la Russie. En effet, la Serbie a obtenu de l’assemblée des NU le droit de poser une requête auprès de la Cour internationale de justice (la vieille, celle de Rockfeller, créée au siècle dernier, à ne pas confondre avec la CPI même si elle siège aussi à La Haye). La CIJ est responsable de trouver des solutions et des arbitrages aux litiges territoriaux qui lui sont volontairement portés. Et il est peu douteux qu’elle accèdera à la requête de la Serbie. Et affirmera donc que l’indépendance du Kossovo est infondée.

 

11 / Il serait bon alors que les Occidentaux soient assez sages pour profiter de ce prétexte et faire machine arrière, au Kossovo. La France, d’ailleurs, pourrait emmener le bal de ceux qui se refusent à suivre les enragés. Alors, on trouverait la solution idoine, celui de « l’indépendance moins ou de la souveraineté plus », pour reprendre les mots de Mme Zourabichvili. Une telle solution aurait de grands avantages : elle ramènerait de la cohérence chez les Occidentaux. Elle donnerait des voies de résolution de tous ces conflits gelés qui traînent, des Balkans au Caucase, au reste du monde. Et donc, à la Géorgie – sans qu’il soit besoin d’entrer, encore une fois, dans une logique d’élargissement, à l’OTAN comme à l’UE, logique qui n’a pas de sens. Ce recul tactique permettrait une victoire stratégique.

 

12/ Dernière remarque. La fin du XX° siècle a cru à l’illusion d’un monde sans Etat, et d’un monde sans guerre. Le XXI° siècle nous démontre que c’est une illusion. On commence surtout à apercevoir que l’Etat suppose, au fond, certains minima. De taille et de sécurité. Et que sauf exception et curiosité (Monaco, San Marin, Lichtenstein,...), la petitesse n’est pas un gage de survie. Comme quoi, les Flamands sont à rebours de l’histoire.

 

Olivier Kempf

Publié dans Géopolitique

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C
Bonsoir,<br /> Je découvre votre blog. Très didactique.<br /> Nous partageons le même intérêt pour l'Europe.<br /> Ne croyez-vous pas que les "évènements" en Géorgie soient, parmi d'autres, une volonté manifeste de nuire à son aura ?
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O
<br /> Bonjour, et bienvenue<br /> Je ne me suis pas posé  la question sous cet angle. Je ne crois pas, car il s'agirait d'une lutte offensive en matière de diplomatie publique. Je crois que la Russie poursuit ses intérets,<br /> locaux, et qu'a un autre niveau, elle cherche à séparer l'Europe des US, afin de nouer une relation privilégiée. Ce qui est déjà bien assez compliqué.<br /> <br /> <br />
R
Pour aborder ces deux faces de la souveraineté, je pense qu'on parlerait plutôt de souveraineté interne ("capacité d’un État a organiser la vie politique de son peuple") et de souveraineté externe (indépendance, telle que reconnue depuis le Traité de Westphalie). <br /> <br /> En revanche, la souveraineté nationale n'est pas stricto sensu un concept de droit international signifiant l'indépendance d'un Etat par rapport aux autres. La souveraineté nationale est juste une autre forme de fonctionnement politique, au même titre que la souveraineté populaire.<br /> <br /> Pour synthétiser, la souveraineté populaire appartient au peuple qui l'exerce par la démocratie directe (Rousseau) tandis que la souveraineté nationale renvoie à des pratiques démocratiques indirectes, donc représentatives (Sieyès).<br /> <br /> Je reconnais que c'est un point théorique. De toute façon, on aura compris ici le vrai sens du terme, d'autant plus que vous parlez ensuite d'"intégrité territoriale".
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O
<br /> Vous avez raison d'apporter ces précisions, ou je retrouve mes vieux cours de droit constit. J'ai bcp oublié..........<br /> <br /> <br />
C
Concernant le 12), on pourrait aussi citer en contre-exemple des cités-états puissantes (du passé, Venise ou Raguse) comme le Vatican ou encore Singapour, deuxième place financière d'Asie, premier port mondial en tonnage, troisième raffineur mondial, et un des PIB les plus élevé. <br /> Le gigantisme des empires n'a pas constitué non plus un gage de survie.
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O
<br /> Très pertinente remarque.<br /> Les blogs sont quotidiens ,et la pensée est forcément fragmentaire. Merci de me le rappeler<br /> <br /> <br />
P
Bonjour,<br /> <br /> Tout d'abord, merci pour cet article intéressant.<br /> Toutefois, il me semble qu'il y a un problème avec les liens... On ne peut atteindre les articles auxquels il est fait référence.
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O
<br /> Oui, mille excuses ,je corrige<br /> <br /> <br />