Néo-déclinisme et crise boursière
La faillite de Lehman brothers prouve que la purge n’est pas terminée. Mais avant que d’évoquer cette crise boursière, il faut tout d’abord revenir sur le néo-déclinisme états-uniens.
1/ Néo-déclinisme ? de quoi s’agit-il ? tout simplement du retour en force des thèses déclinistes qui avaient un temps couru et qui reprennent, l’actualité aidant, une vigueur remarquable.
Précisons tout de suite qu’il s’agit du déclin américain, et non du déclinisme à la française, qui n’en est qu’un pâle reflet (même si on pourrait trouver d’évidentes analogies entre les deux).
Ce déclinisme trouve son origine dans l’ouvrage de Paul Kennedy, « the rise and fall of great nation », paru en 1988 (avant donc la chute du mur !) et qui, s’appuyant sur l’exemple des empires français, anglais et hollandais, montrait que toutes ces puissances mondiales perdaient leur suprématie à la suite d’une surextension (overstretching). Cela avait été un grand succès à l’époque, car chacun y avait vu une critique de l’empire américain.
La fin de l’URSS, la guerre du Golfe, la notion d’hyperpuissance avaient mis sous le boisseau cette vision. Au contraire, un Fukuyama présentait une Amérique triomphante. Les attentats du 11 septembre, l’enlisement irakien et la vogue du choc des civilisations ont remis en question ce suprématisme, malgré les thèses volontaires des néo-conservateurs.
Et l’on observe le retour d’un certain déclinisme, que nous nommerons néo-déclinisme : l’ouvrage d’Emmanuel Todd (Après l’empire, 2003 ) ou celui de Charles Kupchan (The end of the American era, 2002) en sont les signes récents.
Au point d’ailleurs que l’on puisse considérer les thèses conservatrices comme une réaction à ce déclin ressenti même s’il n’est jamais exprimé ni théorisé. Le nom même du principal groupe de pensée (think tank) néo-conservateur en est l’illustration flagrante : « Project for the new American century ». S’il faut le projeter, c’est que ce nouveau siècle américain ne va pas de soi !
2/ Le déclin était une hypothèse. Et l’on pouvait s’interroger sur le succès ou l’échec des présidences Bush. Certains montraient même que, sans être un néo-conservateur invétéré, on pouvait y trouver quelques vertus. Toutefois, s’il faut bien noter un deuxième mandat Bush moins catastrophique que le premier, avec une tentative de rapprochement avec l’Europe et une résolution relative de l’affaire irakienne, le résultat de la diplomatie américaine n’est tout de même pas brillant.
Du simple point de vue européen, l’échec de l’élargissement otanien à Bucarest, et l’absence de réaction devant le coup de force russe en Géorgie sont les signes de cet effacement. Et je ne parle pas des difficultés afghanes, de l’interrogation pakistanaise, de l’inertie au Proche-Orient, ou da l’affaissement généralisé de l’influence dans le pré carré sud-américain. Sans même évoquer l’émergence chinoise.
Aux yeux du monde, l’Amérique n’est plus une solution. Et notre anti-américanisme français est de la gnognotte gentillette comparée à ce qu’on observe en Turquie, vieil allié américain s’il en est.
Toutefois, le débat restait cantonné aux affaires diplomatiques.
3/ Or, la crise financière américaine est en train de tout changer, et de métamorphoser une crise localisée dans le champ des affaires étrangères en une crise structurelle. On a ici loué le livre de Colin Gray (ici) dont une des conclusions marquait le maintien d’une certaine puissance américaine au XXI° siècle (si l’Amérique ne sera plus le géant qu’elle a été, elle demeurera une puissance majeure).
On en vient à s’interroger : et si l’affaissement américain était encore plus profond qu’on ne pouvait l’envisager ?
En effet, la question que les spécialistes ont posée tout au long de l’année 2007 était : la sphère financière va-t-elle contaminer l’économie réelle ? 2008 a répondu : oui.
Mais la vraie question de cet été 2008 (car jusqu’au 21 septembre, sauf erreur, nous sommes encore en été) est la suivante : la sphère économique va-t-elle contaminer la sphère politique ?
Insister sur cet « été » donne des éléments de réponse : ce furent les Jeux Olympiques de Pékin (voir ici), que tout le monde a compris comme l’accession de la Chine au rang de grande puissance. Sans noter que c’était surtout l’accession du peuple chinois à l’ère de la communication (regardez l’affaire du lait contaminé, ou des catastrophes naturelles du printemps : une opinion publique chinoise devient une force agissante). Et plus qu’une puissance, il faut voir la fragilité. L’été, ce fut aussi l’affaire géorgienne, dont nous avons maintes fois parlé dans ces colonnes. L’été, c’est enfin l’effondrement financier auquel nous assistons. Il ne s’agit pas d’un jeudi noir. Il ne s’agit pas d’une « explosion », brutale et soudaine. Mais d’un affaissement sans fin, commencé l’an dernier et dont nous voyons la précipitation dans le trou noir de la perte de confiance (sur les aspects psychologiques de cette crise, voir ici Philippe Grasset, prophète décliniste s’il en est).
C’est pourquoi cette crise boursière est probablement bien plus qu’une crise boursière. Isolée, elle pouvait être contrôlée. Conjuguée avec les autres ruptures (je me méfie de ce mot, contrairement à bien d’autres, et pourtant ce mot est le seul qui me vient à l’esprit), elle marque un bouleversement de grande ampleur. Qui dépasse le seul cas des Etats-Unis. Et qui rend la prédiction extrêmement aléatoire.
Bref, cette crise boursière est peut-être la dernière manifestation du déclin d’une certaine forme d’Occident, à laquelle l’Amérique nous avait habitué tout au long du XX° siècle.
Le 11 septembre 2008 n’est peut-être rien à côté de ce que nous sommes en train de vivre. Et l’été 2008 marquera peut-être plus les livres d’histoires que l’effondrement de deux tours new-yorkaises…..
Olivier Kempf