Les faiblesses russes dans l’affaire ossète
Nous avons suffisamment évoqué la position très avantageuse de Moscou dans la guerre ossète avec la Géorgie (voir ici), pour qu’il soit temps de noter les faiblesses de cette position. Or, en un mot, ces faiblesses n’existent d’abord pas vraiment envers l’Occident, mais envers « le reste du monde ».
1/ De nombreux observateurs ont remarqué que personne (fors le Nicaragua) n’avait reconnu les républiques d’Ossétie et d’Abkhazie.
Il y a une certaine logique à cela : tout d’abord, chacun s’attend à ce que ces républiques soient prochainement intégrées à la fédération de Russie ; surtout, alors que le « reste du monde » a beaucoup de mal à reconnaître le Kossovo (d’ailleurs, en suivant la position de la Russie sur ce point), il serait illogique qu’il le fasse dans des circonstances similaires au motif qu’elles sont caucasiennes et non plus balkaniques. Car c’est une affaire de principe qui est ici en jeu (on y reviendra prochainement). Or, les principes ne sont pas défendus par l’Occident, ni par la Russie dans le cas présent. Autrement dit, l’anti-occidentalisme ne suffit pas à faire une position commune.
Au-delà du reste du monde, il faut regarder le voisinage immédiat de la Russie.
2/ La Biélorussie a gardé un silence qu’on ne peut interpréter que comme une réserve à peine polie. C’est que Minsk n’a pas apprécié, l’an dernier, le chantage au gaz effectué par Moscou. De ce point de vue, il y a une certaine connivence avec l’Ukraine, qui est rarement aperçue. En ne suivant pas la Russie dans l’affaire géorgienne, la Biélorussie a marqué sa différence.
3/ Il en est de même de toues les républiques d’Asie centrale, au premier rang desquelles le Kazakhstan. Pourtant, le sommet de la CEI (communauté des Etats indépendants) tenu en août aurait pu permettre à Moscou de recueillir un soutien, au moins tacite, de toutes ces républiques de l’ex-URSS qui ne sont pas, habituellement, si farouches. Ce ne fut pas le cas. On retrouve là le manque de « puissance douce » russe, qui a déjà été remarqué (voir ici). En clair, si les voisins russes respectent la force et comprennent son langage, cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont prêts à tout, et notamment à être croqués. Ce silence indique que l’indépendance est un fait, et qu’il sera difficile de revenir dessus.
Cela a une autre conséquence : le succès ossète pouvait être vu de Moscou comme le premier pas d’un grignotage qui reprendrait les vieilles limites impériales. Il démontre surtout que tous les autres acteurs de « l’étranger proche », pour reprendre la terminologie russe, ne sont pas d’accord avec une vision manichéenne qui se résumerait à pour ou contre, inclus ou séparé, ami ou ennemi. Le silence de proximité indique une déchirure plus profonde qu’il n’y paraît, vu de Londres ou de Washington. Il suggère la volonté de ces pays de créer une politique de voisinage fructueux, marquée par l’intérêt réciproque. Mais cela suppose un esprit de transaction qui n’est pas forcément dans la culture russe, ni même, peut-être, dans la culture de tous les pays-en–stan. Ce silence traduit au fond une aspiration. Et derrière la victoire factuelle de Moscou dans le Caucase, le besoin d’un changement de méthode nécessitera doigté et diplomatie de la part du Kremlin, au lieu de la ligne dure que cette guerre soutient apparemment. Il n’est pas sûr qu’on se dirige vers un surcroît de tact. Au risque que la guerre du 8 août 2008 devienne alors pour Moscou une victoire à la Pyrrhus.
4/ Le dernier acteur important est la Chine. Elle aussi est restée remarquablement silencieuse, alors que les observateurs peu attentifs dénoncent régulièrement l’alliance objective entre Moscou et Pékin. Or, c’est une alliance en trompe-l’œil. Car Pékin n’a pas du tout suivi la position russe, au motif qu’elle favorisait le séparatisme, au moins en son principe. L’exception du Kossovo risquait de ne plus en être une. Cela menace l’essentiel de la politique chinoise, qui est une politique de néo-souverainisme, qu’il s’agisse de TaiWan, du Tibet ou du XianYang, pour n’évoquer que les exemples les plus connus. Pékin a nettement marqué sa désapprobation.
5/ Or, cela est d’importance car cela relativise tous les efforts visant à mettre en place un axe Moscou-Pékin, dont l’Organisation de Coopération de Shanghai (OSC) est la manifestation la plus visible. Je n’ai jamais cru à la pérennité de cet outil qui m’est toujours apparu comme une machine de propagande en direction des Occidentaux, plus qu’une véritable construction stratégique. Sur ce point majeur de la scène internationale qu’est l’affaire géorgienne, il faut bien constater la divergence entre les deux puissances.
6/ Cela a une conséquence majeure : Moscou n’a, en fait, pas d’alternative solide a sa politique européenne. Or, dans une position de négociation, c’est évidemment une faiblesse majeure, celle qui à mon sens fragilise le plus la positon du Kremlin. Il faut que les Européens en prennent conscience au moment de négocier, même si leur intérêt bien compris est, également, de parvenir à un accord avec Moscou.
Ceci clôt la série de billets sur la guerre du Caucase de l'été 2008. Je proposerai bientôt un billet qui récapitulera toutes mes analyses.
Olivier Kempf