Mondialisation et balkanisation
Je reviens avec un peu de retard sur un article d’Alain-Gérard Slama, paru dans le Figaro du 10 septembre. Il est intéressant car si A.-G. Slama est un chroniqueur qui a souvent de bonnes idées, il fait aussi partie de ces touche-à-tout que le génie français aime à prodiguer : capable de parler d’énormément de sujets, avec énormément de culture et énormément de présence médiatique. C’est ce qu’on appelle un « leader d’opinion », reconnu par le milieu et doué souvent d’idées intelligentes, juste en avant de l’opinion commune. C’est un talent que d’être toujours juste assez devant pour paraître original, sans être trop décoiffant pour ne pas choquer. C’est aussi ce qu’on appelle un prescripteur. Et sans lui faire injure, ses propos ont naturellement tendance à devenir rapidement la nouvelle doxa. De ce point de vue, il faut toujours le lire avec attention, car il est fécond, brillant et toujours intéressant.
Ainsi, dans cette chronique, il parle de la balkanisation du monde dont il a conscience à la suite de l’affaire géorgienne. Celle-ci n’est qu’un prétexte à sa pensée. Car il constate que « c’est l’importance du rôle joué par la mondialisation dans la régression générale des peuples vers des revendications d’appartenance ethnique ou religieuse ». En effet, la mondialisation affaiblit l’Etat. Or, « seul l’Etat peut garantir l’unité des frontières, et les seules fédérations qui tiennent ensemble sont celles qui sont organisées autour d’un Etats fort – la Suisse étant l’exception qui confirme la règle ». M. Slama est ce qu’on appelle un libéral, sinon économique, du moins politique. Le voir défendre le rôle de l’Etat est définitivement le signe que quelque chose a changé dans ce XXI° siècle. La régulation devient nécessaire ! et ce plaidoyer nouveau en faveur de l’Etat tire aussi ses racines dans la crise financière et le constat général d’un besoin de régulation.
Mais A.G. Slama va plus loin, et tire les conséquences du nouvel état : « Suffira-t-il que le simple changement démographique à l’intérieur d’une nation puisse justifier la reconnaissance d’un séparatisme, voire d’une annexion ? ». On ne saurait mieux dénoncer les dangers de l’ethnisme et la confusion des luttes de libération nationale du XIX° siècle avec les aspirations micro-politiques de populations qui s’octroient le nom de peuples, au motif d’un patois parfois inexistant et recréé de toute pièce.... Pour l’auteur, « c’est toute la définition européenne de l’Etat-nation comme volonté de vivre ensemble et de la frontière comme inscription du droit de l’espace qui est en cause ». On apportera ici deux commentaires : d’une part, on ne sache pas qu’il s’agisse d’une définition européenne de l’Etat-nation, car j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’une doctrine bien française ; d’autre part, le plaidoyer en faveur de la frontière juste après avoir chanté les mérites européens amusera le lecteur qui se souviendra des litanies psalmodiées en leur temps au sujet du monde sans frontière qu’allait inventer la construction européenne.
Mais le meilleur vient en conclusion : « le démembrement d’une nation pour raisons ethniques est dangereux : il faudrait admettre que la volonté de vivre ensemble cesse de relever du choix d’individus responsables et autonomes, réunis autour d’une même idée de la liberté, pour ne plus obéir qu’au déterminisme d’appartenances qui sont par nature totalitaires ». Et là, M. Slama, je ne peux que vous approuver entièrement, car il s’agit très exactement des thèses que je ne cesse de défendre dans ce blog et que j’ai évoquées dans un article de 2006. Je remarque que votre prise de conscience intervient après l’affaire géorgienne, alors qu’elles pourraient très bien s’appliquer à d’autres cas européens où l’on s’est fort bien accommodé (imprudemment) des atteintes au principe que vous énoncez ici. Je ne doute pas que vous pousserez votre raisonnement au terme de sa logique.....
Car il affirme que la mondialisation, créant la balkanisation, impose de sauver l’Etat.
Olivier Kempf