La rémission de M. Brown
Tout le monde remarque que s’il y a quelqu’un qui a lieu de se réjouir de la crise, c’est Gordon Brown. Tout d’abord, politiquement, parce que ça lui redonne des couleurs. Mais il faut sortir de ces considérations politiciennes pour voir plus large.
1/ La nationalisation de banques anglaises a une double valeur :
- il s’agit tout d’abord de l’émancipation non du libéralisme, mais de la puissance tutélaire de Margaret Thatcher. Car si tout le monde croit les Anglais à la remorque des Américains, il ne faut jamais oublier leur histoire politique propre.
- Surtout, au-delà du libéralisme, il s’agit pour Gordon Brown de retrouver les valeurs profondes du travaillisme : il a enfin le moyen de réconcilier l’aile gauche du Labour avec le new Labour initié en son temps par Tony Blair. En ceci, les événements servent le premier ministre qui peut, enfin, inventer une marque politique propre.
2/ de même, cela permet à G. Brown de trouver une place marquante en Europe : le modèle américain ayant sombré dans la débâcle de Wall Street, il est temps d’imaginer de nouvelles voies. Brown peut ici être plus européen que D. Milliband, même s’il n’a pas naturellement le goût européen. Il reste que la réunion de l’Eurogroupe aujourd’hui à Paris s’est accompagnée d’un entretien entre MM. Sarkozy et Brown : cette coïncidence aurait été impensable il y a trois semaines.
3/ Or, M. Sarkozy est probablement plus proche d’un Gordon Brown que d’une Angela Merkel. Opportuniste, il voit bien le jeu d’équilibre qu’il peut jouer entre les deux autres grandes puissance européennes, jeu qui est maintenant ouvert et où il a les cartes en main, grâce à la PFUE mais aussi grâce à la relative solidité du système bancaire français, comparé à ceux de ses deux partenaires. Bref, c’est M. Sarkozy qui joue aujourd’hui au « check and balance », ce qui ne manque pas de sel.
4/ Il reste que M. Brown a probablement trouvé la solution à la crise, celle qui va permettre de sortir de la crise de confiance (voir ici) à laquelle nous faisons face. Car la crise de confiance est provoquée par l’inconnue sur la qualité des actifs détenus par les acteurs bancaires. Or, ces actifs appartiennent au passé. M. Brown propose de garantir non les prêts interbancaires passés, mais ceux à venir : en fait, il permet au système de reprendre une activité normale, et donc d’éviter le recours à des prêts fournis par des banques centrales et des Etats : ceux là n’ont pas non plus des réserves sans fond, et l’on commence à se poser la question de la qualité de signature de certains d’entre eux : l’Islande bien sûr, mais aussi, plus radicalement, les Etats-Unis.
Si jamais la solution de G. Brown venait à être adoptée, si jamais cette initiative était d’abord européenne avant d’être étendue au niveau mondial, alors la rémission du Prime Minister serait totale. Elle aurait surtout des conséquences incalculables : car on serait sorti de deux dogmes, celui de la perfection du libéralisme financier New-Yorkais, et celui de la rigueur inflexible de Francfort.
Olivier Kempf