Obama, donc
Obama.
Donc.
Donc, parce que d’abord, Obama est une conséquence. Conséquence de l’épuisement politique de huit ans de présidence républicaine, épuisement radicalement accentué par la crise économique en cours. Pour être provocateur, n’importe quel âne (l’animal fétiche des démocrates) aurait été élu. Mais il y a, bien sûr, plus que cette stricte raison mécanique, même s’il ne faut pas oublier son déterminisme (voir ici et ici).
Obama est en effet une réconciliation. Tout le monde insiste sur sa couleur de peau. C’est le plus visible mais ce n’est probablement pas le plus important. Obama parle des Etats-Unis et non pas de catégories, il a toujours évité ce sujet racial, il a toujours évité la division idéologique. D’ailleurs, il ne dit pas « je », mais « nous » : « Yes, we can » est le slogan de sa campagne. Vu de l’extérieur, cette réconciliation est celle de l’Amérique avec elle-même, c’est aussi celle de l’Amérique avec le monde. Et pas seulement celle des blancs avec les noirs, malgré les apparences. Il a justement su sortir des apparences.
Car Obama a su inventer une émotion. Je ne vais pas faire du story telling (exceptionnellement, on me pardonnera le franglais de ce billet) ou de la communication politique, de plus doctes en parlent sans cesse. Force est de constater que le show a fonctionné. Il ne s’agit pas de dire que c’est bien ou mal. C’est. L’obamania est le résultat d’un récit émouvant. L’homme public doit intéresser le public. Obama (et Mc Cain) ont pratiqué sans complexe cette communication politique qui est d’abord spectacle. Mais la mise en scène ne peut faire un bon scénario. Derrière le décor et les costumes, derrière les rebondissements, il y a l’argument de la pièce. Car si la politique emprunte au spectacle, le spectacle aussi emprunte au discours, à l’argument. L’argument est un mot de théâtre, comme il est un mot de politique. Derrière l’émotion existe un discours politique profond.
Obama, enfin, est un destin. Il l’a d’ailleurs toujours affirmé. Ce destin est plus que la lente construction d’une carrière politique. Il faut une désignation providentielle, il faut un fatum exceptionnel qui enracine la différence et distingue un héros de la foule de ses compétiteurs. Alors, le géopolitologue ne peut qu’être « spectateur » devant le surgissement du destin individuel, qui va dépasser l’histoire pour la façonner. Il ne peut que constater l’exception et la prédestination de ces individus que les circonstances ont propulsé sur les devants de l’histoire. Napoléon, Clemenceau, De Gaulle, Churchill ou Lincoln sont de ces destins.
Cela ne signifie pas forcément qu’Obama va faire d’aussi grandes choses. Seulement qu’il est, déjà, marqué par le destin. Or, c’est un facteur géopolitique extrêmement difficile à appréhender par le géopolitologue, qui réclame donc, plus encore que d’habitude, l’indulgence de ses lecteurs.
Obama, donc, et la gigantesque émotion mondiale qu’a provoquée son élection.
Il faudra s’en souvenir d’ici quelques mois ou quelques semaines, car la déception viendra, forcément. Inéluctablement.
Cette déception sera peut-être américaine, elle sera très probablement extérieure. La seule question qu’il faudra se poser est : cette déception sera-t-elle seulement à la hauteur des espoirs qu’Obama a aujourd’hui levé ?
A l’extérieur, l’Amérique est aujourd’hui plus présentable. Mais il n’est pas sûr qu’elle puisse donner au monde (à supposer qu’elle le veuille) ce qu’on attend d’elle. Même si Obama possède une ouverture au monde inégalée parmi le personnel politique américain, les circonstances vont le forcer à une sorte d’isolationnisme forcé, et non idéologisé.
Car comme d’habitude (et là, il n’y aura pas de changement !), la priorité sera donnée à l’intérieur et à la gestion de la crise : crise du logement, crise de la protection sociale, crise de l’emprisonnement (un Américain sur cent est en prison !). Et bien sûr, la crise économique et la crise de l’emploi.
Le risque de déception est donc probable. Cela ne doit pas empêcher de saluer l’instant historique de cette victoire, la charge symbolique de cette élection, et le retour, pour un moment, de l’universalité du rêve américain.
Olivier Kempf