Eulex et Kossovo : partie de dupes
1/ On assiste à une belle partie de dupes, en ce moment. Le média eis (europe information service, voir ici) du 20 novembre nous donne des détails sur le déploiement d’Eulex. On sait que cette mission UE devait se déployer depuis quelque temps déjà afin de remplacer la MINUK. Le problème était que les Serbes du nord de la province n’en voulaient pas, et s’appuyaient sur la résolution 1244, seul texte agréé, pour bloquer son déploiement. Or, comme l’UE n’a pas unanimement reconnu le Kossovo, Eulex ne peut se déployer unilatéralement.
2/ Il fallait l’accord des parties. On a donc envoyé l’ONU en avant : négociations avec Pristina et Belgrade, jusqu’à ce que la Serbie sorte des négociations le 18 novembre en disant que le compromis proposé lui convient et qu’il faut maintenant expliquer à Pristina de l’accepter.
3/ Or, le compromis proposé, qui n’a pas été rendu public, semble donner le transfert du contrôle des systèmes judiciaires, policiers et douaniers aux Serbes de souche dans les zones où ils sont majoritaires. En clair, en mettant de côté les enclaves de la province, tout le nord contigu avec la Serbie.
4/ Les Kossoviens s’étranglent, comme par exemple dans l’article de Mufail Limani qui est paru dans Courrier International de jeudi. Ils dénoncent « la faillite historique de la vision multiethnique de l’Europe », ce qui est un argument grossier de la part de ceux qui ont fondé l’indépendance du Kossovo justement sur cette majorité « ethnique » albanophone. Et l’auteur a beau menacer de « quelques anciennes méthodes de guérilla politique » et vouloir qu’on retienne surtout le mot guérilla, on voit bien que Pristina est en train de perdre la main.
5/ Car tout le monde a intérêt à un arrangement :
- l’ONU, afin de désengager la MINUK qui coûte cher.
- Belgrade, afin de mener une partition de fait du Kossovo (voir mon billet du 2 octobre où je suggérais que c'était inéluctable) et donc de poursuivre le principe qui guide actuellement la configuration balkanique, celui de l’assemblement linguistique (pour ne pas dire ethnique) qui correspond au programme vieux serbe : tous les Serbes sur une terre serbe ; ce serait la victoire posthume de Milosevic, avec bénédiction européenne, mais surtout la conséquence logique de la décision de la communauté internationale de reconnaître l’indépendance du Kossovo, au lieu de forcer à une souveraineté serbe nominale et une autonomie la plus étendue possible. La prochaine étape de cet assemblement sera logiquement la Republika Srpska.
- L’OTAN, qui n’attend plus que ça pour passer à la phase de « posture dissuasive » de la KFOR et conduire, enfin, une réduction radicale de forces (il reste environ une quinzaine de milliers de soldats qui s’ennuient et coûtent cher).
- Les Etats-Unis pour arguer de cette manne promise et inciter les Européens à se réengager en Afghanistan.
- La Russie, qui y verrait le triomphe de son retour d’influence (faisons confiance aux nationalistes moscovites pour nous expliquer que c’est grâce au duo Poutine-Medvedev que tout ça a lieu).
- L’Europe afin de déployer Eulex et de trouver un semblant d’accord européen sur la question. Et tant pis pour les principes. Surtout qu’il est plus intéressant de renouer avec Belgrade qui montre par ailleurs d’excellentes dispositions. La résolution de l’épine kossovienne serait un très grand pas en avant.
- Les Occidentaux, qui trouvent là le moyen élégant de satisfaire à peu de frais une revendication russe, à échanger contre des gages sur d’autres dossiers : moins sur le BAM, d’ailleurs, que sur la question du traité FCE ou les négociations à venir sur les SORT.
6/ La dupe serait évidemment la faction kossovienne qui a prôné depuis le début une politique maximaliste, déversant systématiquement de l’huile sur le feu pour obtenir le saint-Graal de l’indépendance. Logique très XX° siècle, dont on s’aperçoit peu à peu qu’elle mène à l’impasse. Et les quelques attentats qu’il y aura de la part d’excités n’empêcheront pas le pays de végéter.
Mais que la dupe soit le plus petit, qui cela surprend-il?
Olivier Kempf