Clausewitz (Livre I, chap. 7) : « de la friction à la guerre »

Publié le

Dans ce dernier chapitre du livre I, Clausewitz traite de la friction, phénomène qui sous-tendait les chapitres précédents, comme on l’ a vu.

 

1/ Car « tant qu’on n’a pas fait la guerre en personne, on ne comprend pas du tout en quoi consistent les difficultés. (...) Tout paraît si simple » (p. 103).

Car en effet, « A la guerre, tout est simple, mais les choses les plus simples sont difficiles. Les difficultés ‘amoncellent et provoquent une friction ».

On pense bien sûr à l’adage attribué à Napoléon (quelqu’un pourrait-il donner la référence exacte ?) : « la guerre est un art simple et tout d’exécution ». On devine l’intuition similaire chez CVC, fervent observateur du génial Bonaparte, dont les miracles guerriers ont été à l’origine des recherches de théorie militaire. Clausewitz connaissait-il cette formule ? On croit le deviner. La guerre est un art simple. Son exécution repose sur le chef, ce  qui justifie le long chapitre sur le génie guerrier. Car pour le théoricien, il faut expliquer ces deux facteurs de son expérience, celle qui l’a vu participer aux triomphes napoléoniens sur les champs de bataille : cela est-il explicable ? qu’attribuer au génie, et qu’attribuer à une science de la guerre ? est-ce d’ailleurs une science, conceptualisable, ou un art, comme l’affirme Napoléon ?

Ces questions sont centrales dans la démarche de CVC. Et c’est pourquoi la notion de friction mérite toute notre attention.

 

2/ Mais qu’est-ce ? « c’est ainsi qu’à la guerre d’innombrables petits détails dont on ne tiendrait jamais compte sur le papier entravent l’action et nous retiennent très en deçà du but fixé ». La friction c’est ce qui éloigne la théorie de l’expérience, c’est la friction de l’air qui ralentit les effets de la gravité sur un corps en chute. La friction est une réalité dont il faut tenir compte, et qui permet justement au théoricien de poursuivre son travail puisqu’il a conscience que sa théorie ne se reflétera jamais entièrement dans l’expérience :cette part laissée au doute et à l’incertain est profondément moderne. On s’éloigne du mythe pour entrer dans la démarche de l’esprit scientifique.

 

3/ Deuxième facteur « subjectif », c’est le rôle du chef. En cherchant à cerner son rôle et son influence sur le cours de la guerre, CVCV permet justement de relativiser la notion de génie : elle est toujours possible, mais cantonnée à sa juste place. Car le génie n’existe que parce qu’il y a friction. « Une volonté de fer peut surmonter ces frictions et briser les obstacles, mais la machine s’y disloque aussi. Comme une obélisque vers laquelle convergent les avenues d’une ville, la volonté inébranlable d’un esprit impérieux est le centre géométrique de l’art militaire ».

Art militaire : revoilà la citation de Napoléon.

La friction permet le chef. Mais ce qui fait véritablement le chef, c’est sa volonté : cette volonté renvoie aux premières définition données au tout début du livre, quand Clausewitz nous expliquait que la guerre était l’affrontement de volontés, et qu’elle était comme un duel. Cette volonté est personnifiée dans le chef : c’est lui qui catalyse la volonté collective, tout comme il fait la jonction entre la chose politique et la chose militaire.

 

4/ Les lignes qui suivent sont de moindre intérêt, même si on note quelques phrases significatives.

« La friction est le seul concept qui corresponde en gros à la différence entre la guerre réelle et la guerre sur le papier » (p. 104) : notez le « en gros » qui dénote l’insatisfaction intellectuelle de CVC devant ce « concept » qu’il met à jour et qu’il a du mal à décrire. « A la différence de la mécanique, cette épouvantable friction n’est pas concentrée en quelques points, mais au contraire, elle est partout en contact avec le hasard » : il y a quelque contradiction dans ce propos. Car si elle est hasardeuse, cela veut dire que la friction ne produit pas des effets continus. Et que donc, la friction se fait jour principalement en quelques points. Pour  préciser la pensée de CVC, il faut donc comprendre que la source de la friction est uniformément répartie, et que la hasard provoque son déclenchement par endroits, ce qui empêche toute approche mécanique pour gommer systématiquement les imperfections.

Toutefois, même cette approche laisse insatisfait : car si on suit CVC, on voit mal comment on va se préparer à la guerre : nous reviendrons sur ce débat un peu plus loin, car il est fondamental.

 

5/ CVC revient d’abord sur le rôle du chef : « la compréhension des frictions est une composante essentielle de l’expérience de la guerre qui est exigée d’un bon général. Le meilleur d’entre eux n’est pas celui qui comprend le mieux les frictions (...) mais le général doit les connaître pour les surmonter. (...) On ne pourra jamais apprendre les frictions par la seule théorie : il y manquerait un instinct et un sens presque tactile » (p. 105). Et enfin : « les idées montent d’elles-mêmes grâce à son expérience et à la pratique : telle chose va, telle autre non ».

C’est donc l’expérience qui fait le bon général. Or, comment acquérir l’expérience, surtout quand on na pas conduit de guerre depuis quelque temps ? comment s’exercer à la guerre, seule façon de surmonter ces frictions qui existent sans cesse ? La conclusion du Livre I nous fournira quelques éléments de réponse.

 

Olivier Kempf

Publié dans Clausewitz

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article