Piraterie
La piraterie « somalienne » amène quelques commentaires. Beaucoup ont déjà été apportés dans les journaux.
1/ Cette piraterie bloque peu à peu le golfe d’Aden, et donc la grande artère qui mène de l’Europe aux Orients : le Moyen et son pétrole, l’Extrême et ses fabrications chinoises. La première conséquence est donc économique, même si elle est actuellement masquée par la crise mondiale (avec un pétrole retombé en dessous de 50 $ le baril et une croissance chinoise en dessous de 8 %). Cette crise cache donc les conséquences directes de la piraterie.
2/ la solution alternative consiste à passer par le cap de Bonne Espérance : même les pétroliers à destination de l’Amérique sont gênés (la route trans-méditerranéenne est plus confortable). Toutefois, la prise du Sirius Star, à 450 Km au sud-est de Mombassa (Kenya) menace à son tour cette route. Menace toutefois plus légère.
3/ C’est donc tout un territoire maritime qui est affecté. Il reste que le canal de Singapour connaît depuis de longues années des phénomènes similaires de piraterie, tout comme certaines parties de la mer de Chine. Cela n’a pas entravé durablement le commerce. On parle plus du Golfe d’Aden car ça se rapproche de nos frontières.
4/ Les conséquences devraient passer par une augmentation des coûts d’assurance des bateaux. J’avais entendu que les cargos modernes transportaient tellement de boîtes que le coût du pétrole était absolument marginal dans les frais de transport, et qu’une augmentation du baril n’affecterait pas ce mode de transport. Je pense que les coûts d’assurance devraient suivre la même logique (mais je m’avance beaucoup, et suis prêt à être démenti par des arguments chiffrés). Bref, la piraterie ne devrait pas modifier l’équilibre économique du transport maritime, vecteur essentiel de la mondialisation.
5/ Eh ! oui : le transport maritime est un vecteur essentiel de la mondialisation, au moins autant qu’Internet : le fait est rarement cité, il me paraît pourtant essentiel. Tout aussi essentiel : ce transport paraît déconnecté de la chose publique. Non maîtrisable par l’Etat, non protégeable par l’Etat, il apparaît totalement privé : comme Internet.
6/ C’est pourquoi les réponses à la crise seront intéressantes à observer. Car si on est sûr d’une chose, c’est que les marines nationales ne peuvent quasiment rien contre les pirates : trop diffus, trop camouflés, trop rapides, trop bien équipés de technologies empruntées à l’Occident, ils reproduisent bien des mécanismes des nouveaux combattants décrits par A. de La Grange dans les Guerres Bâtardes.
7/ D’ailleurs, les forces navales mises en route par l’Otan (groupe naval permanent voire l’Opération « Active Endeavour », OAE) ou l’UE (opération...) sont plus des symboles qu’autre chose. Tout aussi symboliques les navires russes ou français dépêchés sur zone (quand ils ne tombent pas en panne, mais je cesse immédiatement mes perfidies). Il ne faut pas croire à leur efficacité. D’autant que le mécanisme juridique de leur action (et de l’ouverture du feu) reste largement sujet à caution.
8/ C’est donc à terre que ce situe la solution. A terre, d’où la question « somalienne » : on insiste sur les guillemets tant ce pays paraît démembré (Somaliland, Puntland, ...). Il faut d’ailleurs immédiatement remarquer que l’assimilation « terroriste = pirate » est une fausseté gigantesque. Car il semble bien que les islamistes somaliens considèrent avec beaucoup de méfiance les pirates qui les gênent dans leur stratégie politique. De ce point de vue, la confusion liée à Active Endeavour n’est pas une bonne chose, car elle entretient cette confusion (OAE est en effet LA mission de l’OTAN de lutte contre le « terrorisme » en Méditerranée).
9/ Mais s’il y a confusion intellectuelle (métastase malsaine du discours inepte de la guerre contre la terreur dont nous n’avons pas fini de nous soigner), il y a pourtant une vérité qui se cache : l’absence d’Etat en Somalie est la vraie cause du libre champ laissé à ces pirates, qui s’enrichissent largement en profitant du vide policier sur leurs terres. Il n’en était pas autrement autrefois, du temps des barbaresques, quand les pirates souquaient à partir des côtés algériennes et faisaient régner l’insécurité dans toute la Méditerranée, sous la souveraineté lointaine d’un Empire Ottoman qui n’en pouvait mais.
Je laisse aux historiens (S. Mantoux, es-tu là ?) le soin de nous rappeler comment nous nous sommes débarrasser de ce fléau. Il y aura peut-être des leçons à en tirer pour réoudre la crise.
10/ Car il faudra bien faire quelque chose, n’est-ce pas : la seule affirmation géopolitique du Livre Blanc consistant en effet à affirmer que l’axe majeur de la politique française suivrait un axe Marseille-Aden-Oman. La base d’Abou Dabi et celle de Djibouti sont des pions majeurs à cet égard.
O. Kempf