A propos des Opex en 2009 et du retour dans l’OTAN
En matière d’Opex, l’année 2009 devrait constituer, pour la France, la première étape du desserrement de l’étau dans lequel elle s’était placée.
1/ En effet, elle avait créé trois théâtres majeurs en trois ans : Liban à l’été 2006, Tchad à l’hiver 2007, Afghanistan au printemps 2008. Dans ce dernier cas, l’augmentation de 700 hommes faisait franchir à l’effectif engagé la barre des 2000 hommes, celle qui usuellement détermine la notion de théâtre majeur. Or, ces trois théâtres s’ajoutaient au Kossovo et à la Côte d’Ivoire où notre engagement était encalminé faute de solution politique ; et ces nouveaux théâtres furent de plus en plus éloignés, avec donc une contrainte logistique croissante due d’abord à la géographie.
Est-il besoin d’expliquer que cette sur-expansion (overstretching, cf. Paul Kennedy) provoque sur le terrain des difficultés énormes. Enorme est un mot faible, et la pudeur m’impose de ne pas décrire les abîmes que nous avons touchés à certains endroits. Comme disait un de mes amis : « la France, c’est les ambitions des Etats-Unis avec les moyens du Burundi ».
Car la plus belle fille ne peut donner que ce qu’elle a. Et trop, c’est trop. En cette fin 2008, chacun en est bien conscient. Or, 2009 devrait permettre de desserrer l’étreinte opérationnelle.
2/ Bien sûr, il y a cette « revue des Opex » dont l’Express nous apprend qu’elle vient d’être lancée. L’hebdomadaire ne voit que l’angle financier, sans apercevoir les aspects opérationnels, et au-delà, géopolitiques.
Mars attaque, dans un billet inspiré, suggère une bascule de LICORNE vers l’Afghanistan. Il y a de l’idée, mais on peut affiner, s’il me permet. Raisonnons, donc.
3/ Tout d’abord, le déploiement d’Eulex au Kossovo dès décembre (voir mon billet) est une excellentissime nouvelle : non seulement pour l’Otan qui va pouvoir lancer la « posture dissuasive », mais aussi pour la France qui va enfin pouvoir retirer des troupes. Oh ! on en laissera, mais on choisira lesquelles…..
4/ Le Liban devrait aussi être dans le collimateur, selon l’Express. Rapatrier les chars Leclerc serait une idée, surtout qu’on pariera sur l’apaisement avec la Syrie et les élections législatives à venir. Toutefois, tout dépendra de la stratégie d’Obama au Proche-Orient. Disons que le Liban est une possibilité.
5/ L’EUFOR Tchad passera le témoin à la MINURCAT II à compter du 15 mars 2009, selon le calendrier établi. Il semble que les négociations entre l’UE et les NU visent à réétiqueter un maximum de troupes européennes en troupes onusiennes (voir mon billet ici) ; il semble aussi que la France veuille en profiter pour retirer un certain nombre de troupes. Outre la raison opérationnelle (diminuer le dispositif engagé), il s’agit également de mettre en œuvre les conclusions du Livre Blanc qui prône un désengagement du dispositif africain : le Tchad serait de ce point de vue la première opportunité de cette évolution, et le retrait partiel de la mission internationale en serait la première marche. Surtout, cela validerait a posteriori nos protestations d’innocence, lors du montage de la mission, lorsque Paris n’avait cessé de clamer qu’elle ne défendait pas ses intérêts. En se retirant dès la fin de la mission, Paris prouve sa bonne foi….
6/ Même si l’évolution politique traîne en RCI, il est probable que les élections se tiendront finalement en 2009, à l’usure. Ce sera donc l’occasion du désengagement de Licorne, annoncé par « mars attaque ».
7/ Tous ces désengagements ont un grand avantage, ils permettent aux planificateurs de choisir ce qu’ils retirent à tel endroit (parce que ça fait défaut ou qu’il faut reprendre l’entraînement) et ce qu’on peut réinjecter ailleurs : logistique, moyens de commandement, ALAT, génie, drones, mêlée, santé, avions,….
8/ Et l’Afghanistan, dans tout ça ? On sait qu’on va bientôt transmettre la responsabilité de la province de Kaboul à l’ANA : voilà donc bientôt un bataillon de libéré. Va-t-on le rapatrier ?
9/ C’est là où intervient la géopolitique. Et le raisonnement.
Donc, nous, Européens, n’avons cessé de pester pendant huit ans contre l’unilatéralisme de G. Bush, et appelé de nos vœux un apôtre de la discussion à Washington. En voilà un : B. Obama.
Nous, Français, ne cessons de dire depuis l’élection de M. Sarkozy qu’on rejoindra l’Otan si plus d’Europe et si… et si… Or, en cette fin de PFUE, qui doute qu’il y a eu de miraculeux développements en matière de PESD ? voyez l’affaire de Géorgie, voyez Atalante, voyez…. Bref, on va donc annoncer au sommet de Strasbourg-Kehl que nous revenons dans l’OTAN.
Oui, mais…
Les choses ne sont pas aussi simples.
Avant-hier, à la réunion des MD de l’alliance à Bruxelles, on a bien sûr refusé l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Otan, mais on a fermé la porte à toutes les subtilités mises au point par Condie Rice pour sauver la face. On a humilié G. Bush jusqu’au bout. Or, accessoirement, il est président des Etats-Unis, et malgré le spoil system, il y a des professionnels qui vont rester en place et qui n’ont pas apprécié la mauvaise manière fait à leur pays. L’un s’appelle R. Gates, d’ailleurs. Ils vont vouloir que nous changions d’attitude.
Déjà, le nouveau président a annoncé ce qu’il va faire : reporter l’effort sur l’Afghanistan (voir mon billet d’août ici) et demander aux Européens de l’aider.
Déjà, les dirigeants Britanniques annoncent qu’ils réfléchissent à un renforcement de leur engagement, alors que la hiérarchie militaire est vent debout contre et ne cesse de susurrer qu’on perd la guerre. Déjà, l’Allemagne parle de Tornado. Bref, les bons élèves otaniens donnent déjà des gages.
10/ Oui, vous me voyez venir. Des gages pour conserver leurs places dans la structure. Des places justement fort convoitées par les Français, en échange de leur retour. Mais leur retour, aujourd’hui, n’est pas grand chose d’un simple point de vue diplomatique. Il faudra mettre autre chose sur la table.
Par exemple, des forces en Afghanistan. Mettons que vous arriviez en disant « je maintiens le deuxième bataillon que j’ai sur place et j’en ajoute un troisième », je suis sûr que vous êtes bien vu. Parce que ça signifie que vous pouvez prendre un secteur. Et que dans la négociation qui s’engage en ce moment (pourquoi avoir mis J. Jones, francophile et otanien ? voir mon billet), c’est le genre d’argument qui peut faire mouche pour obtenir des places d’influence. Pas de secteur (afghan), pas de place (à l’Otan) !
Mais pour pouvoir le dire, il faut avoir ce troisième bataillon. Or, si vous désengagez partout ailleurs, vous pouvez le dire, et vous gagnez en même temps le bénéfice opérationnel de la concentration des efforts. Bref, un coup gagnant à la fois sur le plan diplomatique et sur le plan opérationnel.
11/ Je suis sûr que du côté du Canada (qui a annoncé qu’il se retirait en 2011), on goûte beaucoup un tel discours. Par contre, à Berlin, à l’aube d’une année électorale et alors que l’engagement en Afghanistan risque de devenir rapidement l’objet d’un clivage politique majeur, ce n’est pas une bonne nouvelle.
O. Kempf