Les routes du heartland: de Washington à Kaboul en passant par Moscou

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Un remarquable article de Philippe Grasset, dans dedefensa (voir ici), amène de longues réflexions.

1/ Les deux grands événements géopolitiques de 2008 sont, à l'évidence, la guerre de Géorgie et les attentats de Bombay (même si je considère avec attention la crise financière, l'élection d'Obama et même - c'est dire si je suis ouvert- les jeux olympiques de Pékin).
L'un se situe aux confins européens, l'autre en Asie du sud.
La question qui se pose est celle de la connexion entre les deux.

2/ Cette connexion passe par l'Asie centrale. Zone mal définie. Le sud Caucase lie l'Europe à l'Asie centrale. Et l'Afghanitan lie l'Asie centrale à l'Asie du sud (maintenant qu'il est de plus en plus manifeste que le Pakistan appartient à l'Asie du sud, malgré  son obsession afghane - qui ne s'explique que par la recherche d'un arrière sratégique face à l'Inde).

3/ C'est pourquoi je ne suis pas en accord avec tout ce que dit Ph. Grasset, malgré la remarquable intuition de son billet. Nous sommes en Afghanistan non contre le terrorisme (même les Américains reconnaisent que la lutte contre la terreur est un concept vide de sens) mais pour contrôler le nouvel heartland. Ceci explique le basculement vers l'Afghanistan que j'avais évoqué dès cet été.

4/ Or, être un heartland pose la question de l'acheminement des forces. La victoire stratégique dépendra de la résolution de cette question logistique (car, de plus en plus et sur tous les théâtres, la logistique conditionne la victoire, et non l'engagement tactique : nous venons de le lire récemment avec Clausewitz). Le problème est simple :
- on peut arriver en Afghanistan par l'ouest, l'est, le nord.
- l'ouest, c'est l'Iran. Les Américains son déjà trop dépendants de Téhéran pour l'Irak pour ne pas, en plus, leur devoir le succès en Afghanistan.
- l'est était la solution privilégiée. Mais l'instabilité au Pakistan condamne cette voie, comme les attentats à Peshawar viennent de le démontrer.
- il faut donc passer par le nord, c'est-à-dire la Russie. D'où les négociations en cours avec Moscou, évoquées par Grasset.

5/Pour le reste,  les intuitions de Grasset sont fulgurantes :
- la Russie a tout intérêt à négocier une voie de passage logistique à travers son territoire, puis le Kazhakstan. En effet :
- Cela fixe les talibans au sud et allège la menace islamiste à ses franges (y compris au Caucase)
- Cela fixe l'Otan miltairement pour dix ans
- cela donne d'excellente cartes pour les négociations à venir, d'autant que la Russie a gagné dans le Caucase et a obtenu une situation très satisfaisante au Kossovo. Cela aura donc lieu autour des questions nucléaires : le BAM, bien sûr, mais aussi le traité SORT. QUant à la nouvelle architeture de sécurité européenne, on attendra de négocier sur le traité FCE.

6/ EN clair, la RUssie va négocier un axe logistique sûr contre énormément de contreparties en EUrope. Elle va jouer de toutes les ressources de son dispositif géopolitique, pont etre l'Europe et l'Asie, et donc bien loin des théories de l'Eurasie. Elle va user d ses cartes pour poursuivre son aspiration vers l'ouest, et prouver quela troisième Rome est une héritière valable de nos racines occidentales (n'en déplaise à Huntington)

7/ Dernière intuition de Grasset : la création d'un deuxième axe (route du heartland) parallèle à "l'arc de crise" que les Américains nous présentent depuis sept ans : un axe Europe - Russie - Ase centrale - Asie du sud, qui reprend (excusez du peu) la vieille route des steppes (celle d'Attila et  Gengis Khan).
Ce que ne dit pas Grasset, c'est que l'arc des crises "unifie" arbitrairement une continuité géographique le long du critère de l'islamisme, unifiant des crises aussi différentes que la Palestine, l'Irak, les métastases de la révolution iranienne et les talibans afghans. Bref, une lecture trop linéaire de la théorie du choc des civilisations (et je réponds ici un peu au CNE P. à propos du dernier devoir de la revue verte : ne prenez pas le choc des civilisations comme un donné, un acquis, mais questionnez-le et mettez-le en doute).

En tout état de cause, ce billet donne une très belle clef de compréhension de la géopolitque du XXI° siècle.

O. Kempf

Publié dans Russie(s) (toutes )

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