2008, un grand cru géopolitique
Avant d'évoquer dans un prochain billet l'année 2009, considérons celle de 2008.
1/ Parler d'une année selon la méthode eonologique ne surprendra pas l'amateur de vin. Celui de géopolitique, en revanche, sera plus interdit. Qu'est-ce qu'un grand cru géopolitique ? une année où les événements et les tendances se sont manifestées de façon particulièrement éclatantes avec des effets profonds et durables. 2001 fut un grand cru, pas 2002. 2003 fut une bonne année (brouille transatlantique, guerre en Irak), 2004 quelconque. Bref, le jugement de valeur ne vise pas à coter une année selon le critère de sa bénéficience, mais de l'importance
de ses conséquences, positives ou négatives.
De ce point de vue, 2008 fut une grande année géopolitique.
Quatre événements majeurs retiennent en effet l'attention :
2/ L'établissement de la Chine, manifesté bien sûr par les Jeux Olympiques. La montée en puissance durait depuis des années. Autant on pouvait s'interroger autrefois sur la solidité et la pérennité de cette croissance, autant la question ne se pose plus. Certes, les fragilités demeurent : politiques, démorgaphiques, sociales et, maintenant, économiques (mais comme tout le monde).
Toutefois, malgré ces fragilités, la Chine est désormais, assurément, une grande puissance. La question se posait encore il y a dix ans. Ce n'est plus le cas, et on le sait vraiment depuis 2008.
3/ L'élection d'Obama, si elle était prévisible (au moins depuis le printemps), n'en constitue pas moins une grande nouveauté. Pas tellement à cause de son métissage, qui n'est pas l'essentiel de ce qu'il apporte. Mais parce qu'avec Obama, les Etats-Unis paraissent en mesure de corriger le long déclin où ils étaient entrés depuis la présidence Bush. Or, ce déclin était celui d'un modèle omnipuissant et sur-étendu. Les Etats-Unis resteront une grande puissance, n'en déplaise à J.-Ph. Immarigeon et Ph. Grasset. La question était celle de leur influence
résiduelle.
Avec Obama, on peut envisager (mais non pronostiquer) qu'ils conservent un vrai leadership.
4/ La guerre d'Ossétie dépasse bien sûr la question des confins russes. Elle met à jour la question de la sécurité européenne au XXI° siècle, sécurité qui devra composer avec la puissance russe. Celle-ci n'est bien sûr pas aussi imposante que le rêvent les eurasistes de tout poil à Moscou, et la crise pétrolière touche l'émirat du Kremlin bien plus profondément qu'on ne le croit généralement. De même, chacun a constaté les faibleses militaires de l'armée russe, qui a triomphé de l'armée géorgienne avec beaucoup de préparation... et de réussite. On est donc loin de la guerre froide et de son équilibre bien réel. Mais symboliquement, la défaite de Saakachvili a mis un terme à l'extension inconsidérée de l'alliance atlantique selon le schéma décrit par Brzezinski dans le "Grand échiquier". Pensée archéo-géopolitique, sorte de McKindérisme mis à la sauce des années 1990, sans apercevoir les vraies lignes de force du XXI° siècle. Pensée dogmatique et militante, intéressante mais partiale et partielle.
On constate désormais que l'équilibre européen passe par un dialogue avec la Russie, même si les modalités de ce dialogue restent à déterminer.
5/ La crise financière et économique constitue, enfin, le dernier événement majeur de cette année. Sa radicalité ne doit pas être sous-estimée. Le vocabulaire religieux qui réapparait à cette occasion (perte de foi de Greenspan, analyse eschatologique) dénote bien le côté systémique de la crise (et répond à la perte de foi du communisme bon teint du XX° siècle). Or, depuis des années, la notion de risque systémique est en permanence évoquée par les économistes, plus comme une précaution de langage que comme une hypothèse sérieusement considérée : car comment penser le chaos ? nous y sommes, pourtant. Chacun sait que la récession est là, mais d'autres gros mots sont prononcés : dépression, stagflation, déflation. Les calamités s'amoncellent à cause d'une faillite de la confiance. Faut-il revenir à l'analyse marx(iste? ienne?) : faillite des infrastructures, faillite du capitalisme ? Peu probable. Car on ne voit pas de système alternatif au libre-échange et à la libre-entreprise. Le choc en cours aura, quoiqu'il en soit, des répercussions très profondes.
Elles seront politiques : intérieures, sûrement ; internationales, probablement. Donc, géopolitiques.
6/ Outre ces quatre événements majeurs, que dire d'autre ?
- que l'Europe n'est pas mentionnée. La présidence Sarkozy marque peut-être le retour du politique, mais aussi la fin d'une certaine Europe, celle de la Commission. Au plan mondial, qui fait encore attention à l'Europe ? car on se rend bien compte que le soft power n'est rien sans l'hard power, et que l'Europe en manque. Etant entendu que le hard power est constitué à la fois des moyens de la puissance, et de la volonté de s'en servir. N'en déplaise au président français, l'Europe n'a pas de volonté. L'Europe, qui chante un monde multipolaire, ne voit pas qu'elle
consitue de moins en moins un pôle qui compte.
- que l'Amérique Latine poursuit son évolution, marquée à la fois par la naissance de l'UNASUR (voir ici) et la défaite des FARC.
- que l'Afrique poursuit son cercle infernal, réinventant sans cesse les voies du non-développement, n'en déplaise aux Chinois. L'Afrique, en 2008, n'aura inventé que la piraterie : on se passerait de ce genre de trouvaille !
7/ Ainsi, 2008 constitue une grande année géopolitique.
Olivier Kempf