L'Europe, l'islam, la Grèce (II)
J'avais mentionné (iciL'Europe, l'islam, la Grèce ) la parution d'un livre (Aristote au Mont Saint-Michel) dont le Monde des livres avait fait la recension.
Je l'ai acheté, mais pas encore lu. Mes commentaires sont donc ceux du béotien.
Donc, la polémique s'élève, relatée dans le Monde des livres du vendredi 25 avril qui y consacre une page entière. Le livre de Gougenheim est critiqué par certains parce que :
- Gougenheim confondrait 'musulman' et 'islamique', ce qui relève de la religion de ce qui relève de la civilisation ;
- Il oublierait dans son livre ce qui s'est passé dans la péninsule ibérique, et au-delà le rôle joué par les savants 'mahométans' (puisque je ne sais s'ils sont plus musulmans ou islamiques) comme Avéroès dans la transmission à l'Europe des classiques grecs ;
- enfin, Gougenheim citerait un auteur qui aurait donné une interview à un site d'extrême droite.
La critique en tire une conclusion qui est claire : ce livre promeut la supériorité de l'Occient sur l'islam, donc il est huntingtonien, donc simili fasciste.
L'auteur paraît très surpris de l'ampleur de cette polémique, car il "ne nie pas du tout l'existence de la transmission arabe, mais [il] souligneà côté d'elle l'existence d'une filière directe de traductions du grec au latin, dont le mont Saint-Michel a été le centre au début du XII° siècle, grâce à Jacques de Venise"; et plus loin : "du reste, je ne crois pas à la thése du choc des civilisations".
Commentaires :
Alors qu'on dénonce chez Gougenhiem "les propos d'un idéologue", je vois quant à moi une vraie idéologie dans les critiques qui se sont levées.
- Je discerne là une posture en vogue et dominante, celle de chercheurs qui partent du principe que 'l'Occident' (sans d'ailleurs très bien définir le mot) est coupable d'avoir 'dominé le monde'. Il faut donc continuer à corriger cette domination en 'respectant' toutes les autres cultures, ici l'islam.
- Dans le cas présent, s'ajoute la dénonciation de la thèse huntingtonienne du 'choc des civilisations'. Comme 'on' est partisan du dialogue et de la tolérance, 'on' ne saurait admettre qu'il puisse y avoir des conflits entre civilisations. Le seul fait de le dire revient à adopter une posture impérialiste, donc mauvaise.
Il s'agit donc de cette posture que j'appellerai 'post-occidentale' qui dénonce l'occident pour expier ses crimes passés. Il faut lire à ce propos Bruckner (voir ma fiche de lecture sur la "Tyrannie de la repentance"). Or, il n'y a pire démon que celui qui se veut ange : à force de vouloir abaisser l'occident, on continue de lui attribuer une place exceptionnelle, donc supérieure : le monopole de l'infâmie vous donne un prestige exquis.
Je ne suis pas un partisan de l'Occident (notion difficile à définir, cf mon billet sur le livre de R.P. Droit), et en tout cas pas du tout proche des thèses néo-paganistes des excités d'extrême-droite. Pour autant, je n'ai pas de complexe de ce que je suis et de la civilisation qui m'a fait. Et s'il faut le dire, j'en suis plutôt fier. C'est bien parce que je suis sûr de moi que je peux m'intéresser à l'autre. Y aurait-il d'ailleurs une démarche géopolitique sans cet intérêt ?
Pour revenir à Gougenheim, j'ai reçu le livre par la poste mais ne l'ai pas encore commencé. Je vous en rendrai compte, promis. Mais je ne suis pas surpris que la tradition grecque soit aussi restée dans la sphère de la chrétienté (puisque c'est par ce nom qu'il faut désigner ce qu'on appelle aujourd'hui, de façon plus confuse, occident). A l'époque, chrétienté contre islam, on ne savait si c'était religion ou civilisation, tant les deux étaient mêlées.... Et un beau roman d'Eco ne repose-t-il pas sur l'argument de la conservation d'un original d'Aristote dans une abbaye médiévale ? à l'époque, on n'a pas entendu de critique pour dire que l'argument du livre reposait sur du vent, car tout le monde l'a cru plausible.
Je crois donc à cette possibilité, ce qui ne signifie pas que je rejette Avéroès et les autres. en revanche, je suis fatigué des postures morales tant à la mode. ElLles ne dédouanent plus et n'expliqent rien.