Medvedev et le pacte de sécurité européen

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Le nouveau président russe, Dimittri Medvedev, l'avait proposé le 5 juin, lors de sa visite à Berlin (voir ici) : il faut un nouveau traité paneuropéen "juridiquement contraignant", qui soit un autre pas après Helsinki.
Il a entériné le 15 juillet son nouveau concept de politique étrangère (voir ici) qui n'avait pas été renouvellé depuis 2000 (voir Libération  ici). On peut lire ici les éléments essentiels de ce document.

RIA précise " Selon lui, tous les Etats européens sont invités à y participer "non en tant que membres d'unions ou à de blocs, mais en tant qu'Etats souverains"."

On lira avec grand profit l'analyse du Monde (ici). Selon l'excellente Natalie Nougayrède, Moscou propose un grand marchandage : bloquer tout élargissement de l'OTAN, stopper le Bouclier antimissile (BAM), assurer la neutralité de l'Ukraine, la Moldavie et la Géorgie. En échange, on réglerait les conflits bizarres (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du sud), Moscou appuierait la résolution en cours au Moyen Orient (nucléaire iranien) et favoriserait l'approvisionnement de l'Europe en hydrocarbures. Sans compter la réouverture des négociations sur le traité FCE, et la fin des menaces (pointage de missiles sur l'Europe, sortie du traité FNI de 1987). La référence à Helsinki n'est pas neutre, car c'est de la CSCE qu'est sortie l'OSCE. Et Moscou a toujours cherché à privilégier l'OSCE, où elle dispose d'un droit de veto (même si on parle beaucoup en ce moment de la réforme de cette organisation).

Que penser de tout cela ?

1/ Qu'il y a une vraie continuité de politique étrangère à Moscou, et qu'elle est très lisible. Medvedev s'inscrit dans la lignée exacte de Poutine. Il n'y aura pas de changement, ce qui est rassurant pour l'analyste, car cela lève une incertitude (voir interview de Poutine).

2/ Que cette ligne russe est très active depuis février 2007, occasion du discours de Poutine à la Wehrkunde. J'avais montré (cf. mon article ds DN&SC de novembre 2007) que cela réagissait immédiatement à l'ouverture de négociations bilatérales entre Américains et Tchèques/polonais. Le déclencheur a été le BAM.

3/ Mais il faut écouter ce que disent les Russes : ils s'opposent à trois points : le BAM, l'élargissement de l'OTAN, et le Kossovo.

4/ Je remarque aussi la très bonne gestion du calendrier. A la suite du sommet de Bucarest où l'élargissement à l'Ukraine et la Géorgie avait été reporté à décembre, les Russes n'ont cessé de prendre l'initiative. Car la fin de l'année verra : une ministérielle défense de l'OTAN qui dira si Tbilissi et Kiev peuvent accéder au MAP (plan d'action pour l'adhésion) ; et l'élection présidentielle américaine.

5/ S'agissant du BAM, les Russes ne cessent de multiplier les déclarations à son encontre (prendre les mesures technico-militaires, etc...). Il s'agit d'influencer les gouvernements, mais aussi les populations tchèques et polonaise, très hostiles au BAM. La menace à peine voilée de pointer des missiles vers l'Europe, la sortie du FCE et la menace sur les autres négociations nucléaires (SORT et FNI) font partie de cette tactique. La Pologne louvoie en attendant le nouveau gouvernement américain ; la ratification tchèque devrait aussi prendre du temps.

6/ S'agissant de l'élargissement de l'OTAN, Moscou déroule clairement sa stratégie de pourrissement des confins géorgiens (je l'avais prédit, voir ici, ici ); en Ukraine, les difficultés politiques n'augurent pas d'un accord, car Mme Ioulia Timotchenko est très polie avec les Russes. L'adhésion à l'OTAN n'est donc pas proche. Quand à la Moldavie, on voit bien les manoeuvres en faveur d'une neutralité (voir ici). Bref, il est probable que chacun s'accorde à considérer qu'en décembre, les otaniens n'accorderont pas l'ouverture du MAP à Tbilissi et à Kiev. L'excellent V. Jauvert suggère que cela explique le regain de tension actuelle en Géorgie (voir ici).

7/ S'agissant du Kossovo, ne varietur. Blocage au CSNU, et donc impasse à Pristina. Je reste d'ailleurs très surpris par l'article du Gal de Kermabon, dans le dernier DN&SC, qui fait à peine une allusion à ce  blocage politique et explique comment EULEX va se déployer sans problèmes. Pour Moscou, le Kossovo est une affaire de principe et non une affaire de solidarité slave. Derrière le Kossovo, il faut voir la Tchétchénie. Céder sur le Kossovo, c'est ouvrir la porte à Grozny. Moscou ne cédera pas.

8/ Moscou s'appuie sur ses lignes de forces traditionnelles : l'OSCE (où elle dispose d'un droit de veto), la recherche d'un multilatéralisme intégral (on vient négocier comme Etat et non comme membre d'une alliance, ce qui évite de revenir à la situation du FCE et permet de sortir de la logique de bloc), allusion à une puissance nucléaire qui demeure importante.

9/ On note cependant de nouveaux arguments : celui de l'arme énergétique (qui a d'ailleurs convaincu Allemands, Italiens et Français à Bucarest) ; celui de l'influence au Moyen-Orient, notamment sur l'Iran; celui de la reprise de négociations sur le désarmement, conventionnel comme nucléaire.

10/ Il me semble qu'il faut écouter les Russes, car il y a des marges de négociations. La politique actuelle d'un néo-endiguement, pratiquée par les Américains, est dangereuse. Les Russes ne cessent de prôner une coopération avec l'Europe et les Etats-Unis. Ne pas les écouter revient à les rejeter à l'Est. Et pour eux, l'Est, c'est la Chine.

11/ Il est probable que la proposition de M. Medvedev n'aura pas gain de cause à court terme. Mais il s'agit de voir plus loin, et de permettre aux équipes des deux candidats de se préparer. La nouvelle administration ne dévoilera sa ligne européenne qu'à l'été 2009 au plus tôt. Lors du sommet de Strasbourg-Kehl ?

Les cartes sont sur la table.

Olivier Kempf

Publié dans Russie(s) (toutes )

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M
Analyse très intéressante. Quelle sont à votre avis les marges de manoeuvre des Etats-Unis en cette année électorale. Je ne connais pas la position d'Obama sur le BAM, mais il est peu probable qu'il soit contre.<br /> <br /> Je ne pense pas qu'il soit dans notre intérêt de négocier bilatéralement avec les Russes, ils nous divisent pour mieux nous contrôler. La uqestion du kosovo provoquera aussi un blocage chez nous. je pense que la vrai erreur est de leur avoir permis de décréter leur indépendance avant d'avoir trouver une solution qui convienne à toute les partie. C'est un peu comme le traité sur les institutions européennes. Il était peu judicieux d'élargir avant d'avoir régler les questions institutionnelles. La diplomatie "bulldozer" ou "du faut accompli" ne marche pas, ou qaund elle fonctionne elle sucite des rancoeurs qui restent ouvertes telle des plaies non cicatrisées.
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<br /> Tout à fait d'accord avec votre comparaison entre l'élargissement et le Kossovo : c'est une remarque très très pertinente.<br /> Les Russes jouent leur jeu. Diviser pour régner ? pas forcément à l'intérieur de l'Europe, mais entre UE et US, oui, c'est une hypothèse.<br /> Position d'Obama : J'ai commandé un article sur "Les candidats et l'OTAN" et j'espère que l'auteur évoquera le sujet. A paraître dans le spécial OTAN de DN&SC de novembre.<br /> Marges de manoeuvre : effectivement, elles sont réduites (syndrome du Lame Duck). Remarquez toutefois l'évolution en cours avec l'Iran : Bush est assez responsable d'ouvrir le jeu à la fin de son<br /> mandat, pour laisser toutes les options à ses successeurs.<br /> OK<br /> <br /> <br />