Institutions : une voix géopolitique
La réforme des institutions vient donc d'être votée par le Congrès (texte ici). A une voix de majorité. Examinons donc la lecture géopolitique que l'on peut faire de cette réforme institutionnelle. (le texte de la constitution de référence est celui mis en ligne, ce jour, par le conseil constitutionnel, à l'adresse ici )
1/ Tout d'abord, les précédents historiques en France ; deux votes sont restés dans la mémoire pour avoir fait pencher la balance à une voix près :
- la mort du roi, en 1793.
- le maintien de la République, en 1875.
Je ne sais si le vote de ce jour aura les mêmes conséquences de très long terme. J'ai d'ailleurs du mal à discerner comment.... mais cela rappelle qu'en démocratie, toutes les voix comptent.
2/L'article 13 de la loi modifie l'article 35 de la Constitution (sur la déclaration de guerre). Le nouveau texte ajoute:
" « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote.
« Lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le Gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement. Il peut demander à l’Assemblée nationale de décider en dernier ressort.
« Si le Parlement n’est pas en session à l’expiration du délai de quatre mois, il se prononce à l’ouverture de la session suivante. »"
Cet ajout officialise la notion d' "intervention". En absence de définition, on comprend que tout envoi de "forces armées à l'étranger" est une intervention. Pour sortir du cas des exercices multinationaux, ou des escales des bâtiments de la marine, il faut évidemment comprendre que cet envoi se comprend dans le cadre de missions pouvant faire usage des armes. Le cadre n'est pas précisé : bilatéral, onusien, otanien, européen, de vive force (puisque le LB a réintroduit, sans débat, la notion d'action préemptive)...
Tout ceci est gênant, pas seulement pour les juristes qui vont s'étriper à disséquer le texte. En effet, qu'est-ce qui dorénavant sépare une "intervention" de la "guerre" ? On ne parle pas non plus d'opération (alors que les lois de finances mentionnent sans cesse la notion d'"opération extérieure"). De nos jours, la mission en Afghanistan n'est-elle pas une "guerre", ainsi que le déclarait Jacques Aragonès dans le Figaro de ce matin (voir billet suivant, où vous trouverez le lien adéquat) ?
Il reste que le droit de regard plus grand, conféré au Parlement, devrait sensibiliser nos représentants à être plus attentif à ce champ du domaine réservé où, autrefois, ils n'avaient aucune influence. Puisqu'il était réservé. Et donc, ils l'ignoraient.
3/ L'article 37 modifie l'article 72-3 de la Constitution :
" 1° Dans le deuxième alinéa, après le mot : « Mayotte, », sont insérés les mots : « Saint-Barthélemy, Saint-Martin, » ;
2° Le dernier alinéa est complété par les mots : « et de Clipperton »."
Cet article accorde le statut de DOM-TOM, régi par l'article 73 de la Constitution.
Ces articles s'inscrivent dans le titre XII, "des collectivités territoriales", qui remplace si je me souviens bien le titre XII orginal voulu par De Gaulle, "de l'Union Française" (un titre XIII nouveau a été ajouté, "dispositions transitoires relatives à la Nouvelle Calédonie"). Il s'agit donc de traiter tous ces anciens confettis d'empire... Les années passant, les articles s'amplifient et s'ajoutent, compliquant le statut de ces collectivités.
Exceptionnellement, hormis le rajout de ces trois territoires, il n'y a pas de novation particulière : peut-être est-on arrivé à un point d'équilibre ? J'en doute toutefois. L'éloignement géographique exige un particularisme. Les Etats modernes semblent exiger une contiguité territoriale.
4/ Toutefois, cette relative stabilité semble contredite par l'article 39, qui introduit un nouvel article 75-1 :
" Après l’article 75 de la Constitution, il est inséré un article 75-1 ainsi rédigé : « Art. 75-1. – Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. » "
On me dira que je chipote.
En effet, cette mention était sensée être ajoutée à l'article 2 de la C58, qui affirme que la langue de la République est le français. Introduire les langues régionales au même rang que le français était un puissant facteur corrupteur de l'unité nationale. Le tropisme linguistique sert, je le rappelle, de fondement à tous les ethnismes, et donc à toutes les fragmentations : regardez la Yougoslavie, la Belgique, la Catalogne,....
Mais il n'est pas très satisfaisant de le voir placé dans le titre sur les "collectivités territoriales". Cela sous-entend qu'une CT peut se saisir de sa langue régionale, et donc promouvoir une autonomie qui, à terme, etc.....
Parler de langue, ici, est néfaste. Il eut mieux valu retenir le mot de dialecte, ou de parler.
5/ L'article 42 rétablit un art. 87 de la C :
" « Art. 87. – La République participe au développement de la solidarité et de la coopération entre les États et les peuples ayant le français en partage. » II. – L’intitulé du titre XIV de la Constitution est ainsi rédigé : « De la francophonie et des accords d’association ». "
La notion de francophonie revient donc dans la Constitution. Qu'il soit rappelé qu'elle n'a pas fonction de promotion de la grandeur française, comme on le croit généralement, mais de diversité culturelle, face à l'unification culturelle provoquée par la mondialisation (culture Mc World).
6/ L'article 45 allonge l'art 88-5 de la C ainsi :
"« Art. 88-5. – Tout projet de loi autorisant la ratification d’un traité relatif à l’adhésion d’un État à l’Union européenne et aux Communautés européennes est soumis au éférendum par le Président de la République.
« Toutefois, par le vote d’une motion adoptée en termes identiques par chaque assemblée à la majorité des trois cinquièmes, le Parlement peut autoriser l’adoption du projet de loi selon la procédure prévue au troisième alinéa de l’article 89. » "
C'est la fameuse question du référendum turc.
On peut débattre des intentions, ouvertes ou cachées.
Je remarque simplement ici que cette révision intervient après le référendum irlandais : or, celui-ci a appris que les référendums systématiques n'étaient pas une bonne chose pour l'Europe. Qu'en ce moment, l'Europe a plutôt tendance à les perdre (même si ce n'est pas systématique, car l'Espagne et le Luxembourg avaient voté en faveur du Traité Constitutionnel, ce qu'on a oublié). Et qu'un référendum en faveur de l'entrée de la Croatie, par exemple, le jour où cette dernière aura rempli les conditions, ne s'impose pas comme une nécessité.
Une fois que l'on a dit cela, on doit constater qu'il faut maintenant se fier au gouvernement de l'époque le jour où il devra composer avec l'entrée de la Turquie, si celle-ci remplit un jour les conditions d'adhésion. Mais les hommes politiques d'alors ne manqueront pas d'imagination s'ils sont déterminés à faire passer la chose. Quel que soit le verrou constitutionnel en place.
En conclusion/
- J'ai pu oublier des choses : je remercie tout lecteur de bien vouloir me les signaler, sachant que je ne m'intéresse pas aux aspects purement politiques.... Ainsi, je me fiche de savoir si cette révision est une bonne ou une mauvaise chose, en soi ou par rapport au gouvernement actuel, ou par rapport à je ne sais quelle considération politique sur la façon dont ça a été voté, etc. Il y a suffisamment de commentaires de ce tonneau sur la toile pour que je m'en abstienne.
- Il ne s'agit que des commentaires que je fais : on peut bien sûr ne pas être d'accord. Il n'y a ici aucun argument d'autorité. C'est un avis personnel.
- En revanche, s'interroger sur les conséquences géopolitiques, c'est faire de l'analyse politique de long terme. Et je pense que la géopolitique est une science politique. J'avais un jour trouvé une définition qui prenait en compte cette notion ("la géopolitique est une science politique qui s'intéresse etc..."). Je vous laisse d'ailleurs me proposer des fins possibles de la définition.
- Enfin, une voix a fait la différence. Une voix géopolitique, même si elle n'en avait pribablement pas conscience. Cela prouve qu'au-delà de sa responsabilité, en géopolitique, le facteur humain compte. Il y a des décisions géopolitiques. Cela suffit à contredire tous ceux qui sont persuadés que la géopolitique est déterministe. A la fin, parole reste à l'homme.
Et parfois, à un homme.
Olivier Kempf