La Chinafrique

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Au printemps est sorti chez Grasset « La chinafrique », un livre de Serge Michel et de Michel Beuret. (voir ici)

Il s’agit d’un bon livre de journaliste : livre d’enquête et livre de reportage (très bonnes photos de Paolo Woods), mais unifié par une conclusion principale qui donne le sous-titre à l’ouvrage : Pékin est à la conquête du continent noir.

 

1/ A la lecture, on s’interroge en fait : s’agit-il d’un livre sur l’Afrique, ou d’un livre sur les Chinois ? et le fait même de se poser la question illustre à quel point les choses sont avancées, à quel point la Chine a poussé ses pions en Afrique.

 

2/ Car la Chine a plusieurs atouts à faire valoir :

-         des travailleurs (beaucoup), qui travaillent beaucoup (mais vraiment beaucoup, ce qui contraste avec la population africaine mais aussi avec les autres étrangers qui s’investissent en Afrique).

-         Des moyens, financiers et industriels, gigantesques. Et surtout, prodigués à profusion, sans contrepartie, ce qui permet toutes les manigances, mais aussi des résultats visibles, et notamment la construction d’infrastructures qui avaient été abandonnées depuis des années.

-         Une insensibilité politique au régime en place : avec la Chine, les dictateurs n’ont pas à craindre une quelconque remontrance sur le régime ou des leçons de morale sur la démocratie. Cela change des manies des Occidentaux

-         Un appétit démesuré : bien sûr, envers les matières premières, mais on découvre qu’il ne s’agit pas seulement de cela : l’intérêt est aussi industriel, et politique, d’une certaine façon. Car il s’agit pour Pékin de s’assurer d’un réseau d’affidés, bien utile à l’ONU, ou qui abandonnent tout soutien au régime de TaiWan. La dynamique est aussi une dynamique d’investissement. Les Chinois font du business, pas seulement de l’import-export.

 

3/ Ces atouts sont très appréciés des dirigeants africains, qui bénéficient de tous les bénéfices : personnels, grâce à des pots de vins que l’on devine gigantesques, mais aussi publics, grâce à la visibilité des développements mis en œuvre : enfin, ces dirigeants peuvent faire valoir des résultats tangibles, et l’on assiste à des taux de croissance qui ne sont pas uniquement dus au boom des matières premières.

 

4/ Bien sûr, tout cela a les défauts de ses qualités : l’insensibilité des Chinois et leur dureté en affaires ne favorise pas, c’est le moins que l’on puisse dire, le niveau social des employés africains. Au point que le petit peuple n’est pas si content que cela, et que l’on sent sourdre plus qu’une méfiance, et déjà du ressentiment.

 

5/ La « partie » est-elle donc perdue, et est-il déjà trop tard ? C’est au fond sur cette question que se termine ce livre, même si elle n’est pas formulée telle quelle (c’est pourtant fortement suggéré par l’emploi du mot conquête dans le sous-titre). En effet, MM. Michel et Beuret racontent la déchéance de l’influence occidentale en Afrique, signe comme un autre de la désoccidentalisation du monde. C’est un peu le côté voyant et publicitaire de leur ouvrage : l’Occident se ferait chasser d’Afrique. Et la « partie » serait en fait celle du néo-impérialisme mondial, et du nouveau « grand jeu » qui se déroulerait non en Asie centrale, mais sur le continent noir, dans une sorte de nouvelle colonisation qui renverrait à celle de la fin du XIX° siècle. A ceci près qu’il n’y aurait pas, cette fois, de congrès de Berlin et qu’il ne s’agirait pas de domination politique, mais de domination économique.

 

6/ Toutefois, au-delà de ce sensationnalisme, il faut raison garder. Car cette évolution amène à penser deux choses :

-         d’une part, grâce aux Chinois, le monde s’aperçoit que l’Afrique n’est plus si mal partie, et qu’elle devient un enjeu. Ce retournement de la perspective, et le retour des hommes d’affaires de tous pays (Brésil, Inde et Russie, en plus des Occidentaux) est au fond la grande nouvelle apportée par ce livre.

-         D’autre part, l’économie nous apprend (dans une sorte de néo-Schumpetérisme ) que le découvreur n’est pas toujours celui qui va profiter de la découverte. Et que bien souvent, c’est le suiveur de l’innovation qui va réellement être le bénéficiaire. Bref, la position chinoise peut être temporaire.

 

Pourtant, cette dernière conclusion n’est pas rassurante, notamment pour nous autres, Français, qui nous prétendions experts ès choses africaines. On s’aperçoit en effet, à lire cet ouvrage, que nous avons perdu énormément de notre dynamisme. Et qu’à force de ne plus y croire, on ne nous croit plus.  Dommage.

 

Au final, un livre intéressant, rapide à lire, intelligent et documenté, qui donne un bon aperçu de la réalité africaine contemporaine, et vient heureusement compléter le « négrologie » de Stephen Smith.

 

Olivier Kempf

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