Birao, Centrafrique et marges orientales : le rift géopolitique de l’Afrique

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Cette semaine, j’ai été visiter Birao, au nord-est de la Centrafrique, juste à côté du triangle frontalier avec le Tchad et le Soudan.

 

1/ Birao est une petite bourgade où l’on distingue parfois, au milieu des cases traditionnelles, des bâtiments en dur. Ceux-ci surprennent, en fait, car ils témoignent qu’un Etat est là – ou fut là- et a procédé à des investissements publics que signalent ces constructions : agence phytosanitaire, préfecture, hôtel de ville, mosquée, église, et ce merveilleux « hôpital préfectoral » dont le nom me ravit. Il y a même un rond point de facture récente, multicolore et surmonté d’une étoile, planté à la croisée de deux pistes terreuses – car bien sûr, il n’y a pas de bitume. C’est logique, il n’y a pas de voiture.

En fait, si, il y en a cinq : celles du préfet, du commandant de gendarmerie, du consul du Soudan, et les deux des ONG travaillant dans le coin. Birao est tellement pauvre qu’il n’y a pas ces motocyclettes chinoises que l’on voit partout ailleurs en Afrique. Tellement pauvre qu’il n’y a pas, tenez-vous bien, de bicyclette. Tellement incroyablement pauvre que quand vous parcourez les pistes, les enfants ne se précipitent pas pour crier, comme partout ailleurs, « cadeau, donne moi un cadeau ». Mais la population est souriante, affable, tranquille, et change de la sévérité du Tchad voisin.

 

2/ Birao est le chef lieu (y a-t-il 3000 habitants ?) d’une province marginale et délaissée du Centrafrique.

A regarder une carte, on s’aperçoit qu’il y a très peu de liaisons avec la capitale, Bangui. D’ailleurs, tout l’est du pays souffre d’un réseau de communication très déficient avec le centre politique et économique du pays. A bien regarder, on s’aperçoit que toute la région à l’est de la ligne   Ndélé - Brio- Bangassou   est délaissée. Autrefois, du temps de l’AEF, elle avait d’ailleurs été mise de côté par l’administration coloniale. On y avait laissé au sud des planteurs qui vivaient, autonomes, de grandes exploitations d’hévéas ou de café ; le nord accueillait des réserves cynégétiques, où les stars d’Hollywood, dans les années 1930, venaient effectuer des safaris sauvages et exotiques.

Ainsi, la mise à l’écart n’est pas une invention récente due à une décolonisation bâclée ou à la mauvaise gestion d’un Bokassa 1er.

Pourtant, Birao est un point de rencontre : entre Arabes et Noirs, entre musulmans et chrétiens, entre pasteurs et nomades.

 

















3/ On sent toutefois ici une évanescence de l’Etat, qui ne semble pas voir pas l’intérêt de marquer sa souveraineté.

Le Tchad, au nord, s’intéresse plus (militairement, s’entend) à ses frontières orientales, à cause de la menace des groupes rebelles basés au Soudan voisin. Aucune menace équivalente en Centrafrique, ce qui explique la négligence centrale.

Certes, la présence de l’EUFOR a incité à nommer un préfet, à affecter une compagnie de soldats, et donc à montrer son intérêt pour cette région de la Wakanga. C’est d’ailleurs un des effets bénéfiques de l’Eufor que d’apporter la stabilisation locale, et d’inciter au retour d’une certaine administration étatique.

 

4/ Mais on peut s’interroger sur certaines similitudes.

Avec le Tchad, et l’influence du grand voisin soudanais. Birao est économiquement plus tourné vers le Soudan voisin que vers sa région capitale. Est-ce le résultat d’une volonté d’influence de Khartoum ? ou plutôt le fait de la porosité frontalière, intrinsèque à toute région de confins, dans un pays développé (songez à l’Alsace) comme dans un PVD ? La région est pauvre, ce qui est sa chance puisqu’elle ne suscite pas d’intérêt particulier. Cela milite pour la deuxième explication.

Rien de tel au sud, et notamment au Kivu dont l’actualité nous rappelle l’existence.

Car le Centrafrique présente une vraie similitude avec le RD Congo, ex Zaïre : un grand fleuve qui étire le pays vers l’est, et une bordure orientale soumise à l’influence du pays placé de l’autre côté de la ligne de partage des eaux. Les deux pays sont gouvernés à partir d’un capitale fluviale, placée à l’ouest du pays, selon le sens de la colonisation qui utilisait cette voie naturelle de pénétration, en provenance du golfe de Guinée. Cette colonisation s’est appuyée sur de grands fleuves, et on constate que la maîtrise du plateau sourcier est à chaque fois compliquée.

C’est d’ailleurs un peu le cas au Tchad : malgré l’absence d’un réseau hydrographique très apparent, l’étude de la carte montre bien le contrôle de tout le bassin central, jusqu’au relief qui sépare Tchad et Soudan à l’est, et Libye au nord. C’est bien plus vrai en Centrafrique et au Congo, qui s’appuient sur les deux fleuves de l’Oubangui et du Congo, mais peinent à atteindre leurs sources.

Cela n’est pas problématique en RCA, à cause de la pauvreté de la région frontalière. Ça l’est beaucoup plus en RD Congo, puisque le Kivu dispose de richesses minières et est de plus contigu à une zone hautement peuplée, constituée de l’Ouganda, du Ruanda et du Burundi. A l’intérêt économique s’ajoutent le différentiel démographique. Les lectures « ethniques » n’interviennent qu’après et servent à justifier des revendications beaucoup plus intéressées.

 

5/ On serait alors en présence d’un rift géopolitique qui longerait une ligne nord-sud de partage des eaux, partant du nord du Tchad jusqu’au sud de la frontière orientale du RD Congo. En clair, le bassin versant du Nil, sur toute sa longueur, qui divise l’Afrique en deux.

Ce rift géographique, lié au relief, soutiendrait le rift historique hérité de Fachoda. A Fachoda, en effet, ce fut la vision anglaise qui triompha des ambitions françaises. On parle ici d’ambition géopolitique : d’un côté, la volonté de traverser l’Afrique du golfe de Guinée jusqu’au golfe d’Aden, du Gabon à Djibouti. De l’autre, la volonté de maîtriser le cours du Nil et au-delà, la liaison du nord au sud, du Caire au Cap. La victoire de Kitchener sur Marchand décida de l’avenir. La verticale triompha de l’horizontale.

 

6/ Les effets de Fachoda perdurent aujourd’hui, car Fachoda s’appuie sur une vraie ligne géographique. Or, une telle coïncidence est finalement assez rare en géopolitique pour qu’il soit intéressant de la souligner.

 Et qu'on la devine encore à Birao l'oubliée.

Olivier Kempf

 

Publié dans Tchad & EUFOR

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