Clausewitz (Livre II, chap. 5) « La critique » (pp. 145-148)

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« Oui, mais... », concluions nous au billet précédent.

Car dans cette deuxième sous-partie, que j’intitule « la théorie, base de la critique », on commence à remarquer des incohérences.

 

1/ Car cette sous-partie commence par l’affirmation suivante : « Une théorie utilisable est une base essentielle pour la critique » (p. 145).

Cela inverse radicalement le raisonnement suivi jusqu’à présent : la théorie devient nécessaire et préalable à la critique, alors que Clausewitz vient de nous dire que la critique est le signe de la théorie !!!

Or, c’est bien CVC qui affirme (voir p. 125) : « la théorie doit être observation et non doctrine » (voir ici).

 

2/ Poursuivons la lecture. « Plus ils se transforment en doctrine, plus les acquis positifs de l’enquête théorique (...) s’éloignent de la généralité et de l’universalité » (p. 146).

 « La critique ne doit jamais utiliser les acquis de la théorie comme des lois et des normes, mais comme le fait le soldat, comme des aides au jugement ». Est-ce à dire que la doctrine devient l’équivalente de la théorie ? mais ce serait contradictoire avec ce que CVC affirme p. 139 (où la théorie « engendre une doctrine positive » ce qui  les distingue donc, ainsi qu’on l’a vu).

 

3/ CVC ajoute : « La critique dépend largement des résultats des analyses théoriques ». Mais qu’est-ce qu’une analyse théorique ?

Il y a ainsi, dans ce passage, une certaine confusion dans le discours clausewitzien, qui semble mélanger les causes et les résultats.

 

4/ Reprenons donc ce que nous comprenons de l’esprit de son propos. Il n’y a pas de théorie immanente, qui présiderait à la compréhension de la guerre. Celle-ci est d’abord un événement historique, enraciné, réel, et donc à ce titre individuel. Cela n’empêche pas la pensée de s’y appliquer et d’en tirer des conclusions.

L’application de la pensée doit suivre les règles d’une analyse critique : c’est la méthode qui permet alors, éventuellement, de conduire à une théorie de la guerre. Celle-ci est une conséquence de l’analyse, non un présupposé.

Plus on quitte la tactique pour s’élever à la stratégie, plus les règles s’élèvent et donc deviennent moins générales. Ainsi passe-t-on de la règle à la doctrine puis à la théorie, réservée à la stratégie. La théorie n’est pas règle, mais principes et exceptions.

 

5/ Clausewitz poursuit son sous-paragraphe en ajoutant quelques remarques de méthode critique. En effet, « on peut suivre les effets engendrés par une cause aussi loin que les manifestations en valent la peine. (...). On s’élève ainsi jusqu’à la chaîne séquentielle  des objectifs, jusqu’à un objectif qui n’a pas besoin d’être évalué parce que sa nécessité ne fait aucun doute (p. 147). Dans bien des cas, surtout quand il s’agit de grandes actions décisives, il faut même pousser l’examen jusqu’à l’objectif final, c’est-à-dire celui qui doit mener à la paix. Dans cette progression ascendante, le jugement acquiert à chaque étape un point de vue nouveau : le même moyen, favorablement apprécié à un niveau, le sera négativement au suivant » (p. 148).

On tire deux commentaires de ce long extrait.

-         Tout d’abord, cela confirme la différenciation d’analyse dans l’ordre militaire (du tactique au stratégique) et dans l’ordre de la guerre (du militaire au politique).

-         Ensuite, on remarque le binôme causalité/évaluation : pourquoi telle action a-t-elle été conduite (à ce niveau) ? était-ce une bonne chose, compte-tenu de l’objectif ?

 

O. Kempf

 

 

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J
je dirais que l' ambiguité de clausewitz tient à son analyse d' esprit occidental . La guerre est comme le marketing ou la religion une avtivité globale que l' on ne peut pas bien analyser dans le cadre d' une pensée séquentielle , linéaire . Il y faut des esprits orientaux , qui devant la complexité se limitent à l' expliquer par des métaphores ou des maximes : chacun y rajoute son expérience et l' applique ansi au contexte particulier . Aujourd' hui clausewitz parviendrait peut-être plus clairement àexpliciter son idée en utilisant les liens du langage HTML
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F
Sur un mode plus léger, ces explorations dans les méandres de la pensée clausewitzienne me rappellent que Jomini avait qualifié Vom Kiege de « savant labyrinthe »…<br /> <br /> Certes, on sait que le Suisse, vexé par quelques critiques indirectes du maître Prussien, n’était pas tendre avec son œuvre.<br /> <br /> Néanmoins, à la lecture de certains passages, l’image du « savant labyrinthe » semble plutôt bien trouvée…
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O
<br /> Oh! que oui !<br /> <br /> <br />