CDG : la suite

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Voici donc un bon débat lancé (ici) avant-hier.
François Duran m'a donc répondu (ici), ce que j'espérai.

Son argument : après avoir rappelé la doctrine classique du CDG, il ajoute dans le cas des cofnlits asymétriques :
1/ pour que le DCG fonctionne, il faut que les politiques fassent leur boulot stratégique dans la conduite de la guerre.
2/ Il évoque ensuite le triptyque intervention/stabilisation/ normalisation (pas si classique que ça, d'ailleurs, car produit par Desportes il y a seulement deux ans). : en clair, l'objectif (l'EFR) n'est pas selon lui la stabilisation, mais la normalisation. (en fait, il pose la question, et n'affirme pas, je dois le reconnaître).
3/ En conclusion, il cite l'exemple britannique en Birmanie, et l'exemple colombien.

4/ vlm, dans un commentaire, ajoute qu'au fond, le CDG réside dans la population.

Bon, qu'en dire ?

1/ Ben oui, ça serait pas mal que les politiques fassent leur boulot stratégique. Ils le font quand ils ont le sentiment d'être en guerre. Cas anglais et colombiens cités (argument 3). Cas russe en Tchétchénie. Cas américain en Irak. ça marche, mais ça fait aussi des dégâts.
Pb : les opérations de stabilisation, quoi qu'on en dise, s'insèrent dans la doctrine onusienne du peace (au choix keeping, making, enforcement, building, je m'y perds). Ce qui ne suscite pas toujours une forte volonté politique. En clair, on  envoie souvent des troupes non pour résoudre le problème sur place, mais pour résoudre le problème à la maison : dire à l'opinion qu'on a fait qq ch. Le pb politique qui motive l'envoi des troupes est interne (l'émotion) et non externe (la crise là-bas)
La question est donc, reformulée : comment conduire des opérations militaires quand on vient d'un pays en paix et qu'on arrive dans un pays plein de violence où on veut établir la paix? Et dans ce cas là, le CDG a-t-il encore de la valeur?

2/ l'argument 2 et l'argument 4 me paraisssent recouvrir la même idée. Pleine de bon sens : plutôt qu'un lieu géographique (le centre de gravité est à l'origine géographique), on vise le contrôle d'une population. Normalisation plutôt que stabilisation. En clair, l'EFR consiste à vouloir une démocratie bien tempérée comme dans le clavecin du même nom. C'est à peu près ce que voulaient les néo-cons quand ils militaient pour un nouveau Moyen-Orient. Souvenez-vous, on s'est bien gaussé de leur ambition. Etaient-ils naïfs !
Et nous : ne sommes nous pas naïfs ? la fin de la démocratie bien tempérée est si utopique qu'elle ne peut être opératoire. Et donc, on revient au comment : par conséquent, à la stabilisation qui conduit de l'état de violence à l'état de paix.
La stabilisation est un entre-deux, qu'on ne peut définir autrement.

Allos plus loin, et revenons sur l'idée de population : contrôler la population, c'est avoir le pouvoir. Mais avoir le pouvoir sans avoir la légitimité démocratique est injustifiable aujourd'hui, quand on est une force armée d'un pays démocratique. Donc, on ne peut contrôler la population.
Autrement dit : le CDG théoriquement possible est dans les faits impossible à mettre en oeuvre. Donc, il faut l'abandonner.
Donc pas de CDG.

3/ Citer Yakovleff est pertinent (au JO d'hier, on apprend qu'il est nommé général cet été et qu'il prend le commandement de la 7ème BB). Revenir à l'effet majeur.
Car l'effet majeur est limité, et plus conforme à la tradition française qui l'a, peut-être imprudemment, abandonné pour des motifs d'interopérabilité procédurale.
Toutefois, on n'a pas non plus écrit la théorie d'emploi de l'effet majeur en situation asymétrique.
Et surtout, l'effet majeur part du principe qu'on a une mission.
Et "parvenir à un Safe and Secure Environment", ce n'est pas une mission.

Je vous laisse sur ces interrogations, auxquelles je n'ai pas la réponse.
Olivier Kempf

Publié dans stratégie

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V
Bonjour, <br /> En présence d'un état failli, il existe encore des solutions, qui ne manquent pas forcément d'efficacité et que le temps se chargera peut être de légitmer... je pense aux PRT qui font des débuts prometeurs et qui permettent d'amorcer ces "actions de tous ordres". Je n'en ajoute pas plus pour l'instant, je prends le temps de disséquer quelques informations sur le sujet, puis nous en reparlons plus tard si cela vous intéresse. <br /> Meilleures salutations<br /> VML
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V
Bonsoir, <br /> Le commentaire laissé sur le blog de François Duran, rédigé un peu vite, se plaçait sur le plan tactique et non stratégique. <br /> Mais en se replaçant sur le plan stratégique, il ne s'agit, en réalité, pas tant de contrôler la population que de la persuader de l'avantage qu'elle a à un retour rapide à la normale. <br /> Ce sera le travail des psyops. <br /> Il est clair qu'une insurrection structurée s'appuit sur un réseau tel qu'il ne peut rester complètement clandestin, d'une part, et que ses modes d'action tendent à le rendre peu sympathique à la population, d'autre part. <br /> La force étatique (armée et forces de polices)doit alors se fixer pour objectif de créer les conditions favorables au renseignement des forces par la population(j'ai été tenté d'écrire à la "délation", mais le mot passe mal). C'est à dire à créer un climat de sécurité tel que ces renseignements pourront se faire sans risques de représailles. Dès que les premiers renseignements arrivent, on maintient la sécurité et on ajoute une action purement policière qui consiste à recouper le rens, à remonter les filières, à dresser des organigrammes. L'idéal est d'éradiquer localement, puis de fonctionnner par tâches d'huile (afin de préserver une zone "safe" de représailles).<br /> Chaque fois qu'un seuil critique de sécurité est franchit, la population fait l'objet d'actions de tous ordres (sanitaires, sociales, économiques) afin de renforcer ce sentiment qu'elle a tout à gagner de la paix, et donc tout intérêt à continuer de renseigner les forces (car la population sait toujours ...). <br /> Sans soutien au moins passif (le silence) de la population, l'action insurectionnelle est rendue très difficile - et au moins elle ne peut se développer dans des proportions importantes sans offrir des vulnérabilités certaines.<br /> Ainsi, sans viser forcément un contrôle de la population (au sens d'un contrôle physique, mais surtout d'un contrôle des mentalités), la force doit s'employer à conforter les populations dans l'espoir de conditions de vie meilleures, afin d'obtenir d'elles un appui renseignement qui permettra les succès tactiques. Il s'agit bien ici d'être pragmatique et de s'en tenir aux conditions de vie, et non de se lancer dans une vaste mission de conversion des esprits à l'idéal démocratique - projet voué à l'échec avant même que de n'avoir commencé. <br /> La complicité de la population, me semble t-il, reste la condition sine qua non de l'émergence d'une insurrection forte. <br /> S'ouvre alors le difficile débat du mode d'action idoine pour assurer la sécurité des populations, dans des territoires très vastes offrant parfois des zones refuges incontrolables. Les forces armées ne peuvent être partout, les milices locales sont sujet à caution... Un débat passionnant!!!
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<br /> Oui, je suis volontiers provocateur, et moi aussi je réagis vite.<br /> Le point clef de votre discours est bien sûr "la population fait l'objet d'actions de tous ordres (sanitaires, sociales, économiques)" . Car cela nécessite un continuum de l'action du<br /> militaire au civil qui pose la question du contrôle étatique. Soit il y a Etat (cas colombien, cas français en ALgérie) et effectivement, ça peut marcher. Soit il n'y a pas, ou de façon<br /> embryonnaire, et les choses se compliquent. Car l'efficacité étatique donne de la légitimité. L'intervention internationale n'a pas forcément à la fois légitimité et efficacité. Ce qui entrave<br /> l'action.<br /> <br /> <br />