Afghanistan : beaucoup d'idées, peu de pensée
1/ On entend énormément d’idées, en ce moment, à propos de l’Afghanistan. Florilège :
- Il faut afghaniser le conflit, pour partir au plus tôt (Slogan : partir et non pâtir).
- la guerre est ingagnable (un général anglais). Il faut donc négocier avec les Talibans.
- C’est la vraie source du terrorisme. Il faut un « surge » en Afghanistan comme celui qui a eu lieu en Irak, et nous gagneront pareillement la guerre.
- Des renforts ne servent à rien, car l’intervention des Occidentaux n’est pas une solution, mais fait partie du problème.
- Il faut taper aussi au Pakistan, sur les zones tribales de la frontière qu’Islamabad ne contrôle pas.
- Il faut partir et mettre en place un dictateur. Un « dictateur convenable ».
J’en rajoute quelques unes, qu’on entend moins :
- il faut fusionner la FIAS et Enduring Freedom, pour avoir enfin une unité d’action
- il faut un Pachtounistan quitte à ce qu’Afghanistan et Pakistan éclatent. Et du coup, ce Pachtounistan deviendra une zone de tir libre.
- La drogue est à la source de la corruption. Il faut l’éradiquer pour tarir les sources de revenus. Vive le napalm.
2/ Tout ça est abracadabrantesque. Cette accumulation d’idées frappe toutefois l’observateur, car elle rompt avec le consensus mou qui prévalait ces dernières années. Il faut que nous soyons à l’apogée de la crise pour que les esprits se délient et qu’enfin, les propositions abondent. Il y a un vrai débat, et non plus les discours muselés que l’on entendait encore l’an dernier. Et de cette diversité jaillira peut-être LA solution.
Je ne vais pas analyser ou réfuter chacune de ces propositions. Je renvoie à Mars Attaque (ici) et à Vincent Jauvert (ici billet du 2 X 08) pour leurs commentaires éclairants de certaines de ces idées (sur la négociation avec les talibans, sur la dictature convenable).
3/ Mais la lecture de Clausewitz que nous faisons ensemble nous est ici d’une grande aide. Lire Clausewitz quand des guerres se déroulent (Afghanistan, Géorgie) est très fructueux car on a comme des vérifications expérimentales de la théorie que CVC développe.
Car on voit bien que pour les Occidentaux, ce qui manque, c’est d’abord un objectif politique (voir le chapitre 2 du Livre I). Quels sont les objectifs qu’on nous présente le plus fréquemment ?
- « Lutte contre le terrorisme » ? C’est quoi, le terrorisme ? A Kaboul, on parle d’OMF (opposing military forces), preuve que même sur le terrain, on éprouve le besoin d’une catégorie différente que celle de « terroristes ». En terme de propagande, on qualifie toujours (toujours !) l’ennemi de terroriste. Nous n’avons eu de cesse de dénoncer ce faux concept de « la guerre contre le terrorisme ». Car même s’il a une utilité politique de circonstance, notamment pour unifier des alliés qui ont des intérêts très contradictoires, sa vacuité essentielle empêche qu’il ait une influence opératoire.
- « installer la démocratie en Afghanistan » ? pourquoi pas en Birmanie ou en Corée ? pourquoi plutôt l’Afghanistan ? Et surtout, quelle démocratie ? Etes-vous convaincus par la démocratie installée en Irak ? Certes, c’est mieux que rien, etc.... Cela valait-il tous ces morts irakiens ?
- « faire cesser la production de drogue ». La production de pavot a explosé depuis que les taliban sont partis du pouvoir.
- « stabiliser la région ». Région qui était à peu près stable en 2001. Quoiqu’on dise !
- « réagir aux attentats du 11 septembre, et mettre bas le régime des taliban ». OK. C’est fait, légitime défense, super. Mais après.... ils reviennent. Donc, continuer à combattre les taliban ? mais en fait, ils abritaient Al Qaida, nous le savons. Donc, se battre contre Al Qaida ? Peut-être. Est-ce cela l’objectif ?
- et puis c’est à peu près tout ce qui vient à l’esprit.
-
Pas tout à fait.
4/ Le dernier objectif qui vient à l’esprit est probablement le bon : « faire plaisir aux Américains », dans une guerre qui au départ était légitime (légitime défense, voir plus haut) mais qui perd beaucoup de son attrait maintenant que les Américains se montrent très affaiblis : militairement (l’Irak et l’Afghanistan), politiquement (voir l’absence d’influence sur le cours de la guerre géorgienne) et maintenant économiquement (crise financière). Cet objectif là, qui au départ était le seul qui valait vraiment, est en train de s’estomper à grande vitesse.
Y compris chez les Britanniques qui, retirés d’Irak (Quitter l’Irak pour aller an Afghanistan, disaient-ils en 2007) développent maintenant leur pelote pour se retirer d’Afghanistan. « Guerre ingagnable » et « dictateur convenable » sont des expressions sorties de bouches britanniques.
5/ En conclusion (partielle), CVC donne à comprendre :
- chez certains (ce côté de l’Atlantique), la faiblesse des objectifs politiques détermine la faiblesse de l’engagement militaire et donc la volonté d’en sortir à peu de prix.
- Chez d’autres (outre-Atlantique), les objectifs politiques demeurent plus élevés (à cause du 11 septembre, mais aussi à cause du débat Irako-Afghan entre Obama et McCain) ce qui provoquera un engagement militaire plus important. La résilience du traumatisme post-11 septembre, et l’arrivée aux affaires d’un des deux protagonistes devrait émousser peu à peu ces objectifs politiques aussi.
Cette « asymétrie » d’objectifs devrait être la principale clef de compréhension des opérations afghanes au cours de l’année qui vient.
Olivier Kempf