Clausewitz (Livre II, chap. 2), pp. 129-133 : théorie et savoir

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Nous n’avions pas clôt ce chapitre qui traitait de la « théorie de la guerre ». En effet, la dernière partie s’intéressait au « savoir ». Or, Clausewitz prétend constater une simplification considérable du savoir (p. 129).

 

1/ On constate alors une affirmation dont la logique n’apparaît pas au premier abord. En effet, toutes les connaissances « s’agrègent pour composer quelques grandes variables ». « Qui veut diriger ces activités qui se jettent dans l’océan de la guerre doit se familiariser avec elles. Ce qui explique la rapidité de l’instruction de grands chefs de guerre, et pourquoi le chef de guerre n’est pas un érudit » (p. 130).

Je confesse avoir énormément de mal avec cette séquence logique. En elle même, je n’en voit pas le lien, et elle me paraît de plus contradictoire avec toute la chaîne de raisonnement menée jusque là par CVC en faveur d’une théorie de la guerre. La seule façon de réintroduire une cohérence consiste, selon moi, à considérer le « chef de guerre » comme l’officier engagé dans le combat, c’est-à-dire au niveau tactique.

Si cette proposition est exacte, cela signifierait qu’aux bas échelons, il est relativement peu besoin de connaissance pour être un bon officier ; mais cela suggère en creux qu’il en est tout autrement aux niveaux élevés, donc stratégiques, ceux du général qui doit non seulement considérer tous les facteurs de la conduite à la guerre (et non seulement de la conduite de la guerre), mais aussi leur interaction avec le domaine politique.

 

2/ Cette interprétation semble confirmée par ce qui suit : « le savoir doit suivre le grade » (p. 131), nous dit CVC. « Il y aurait des commandants en chef qui n’auraient pas brillé à la tête d’un régiment de cavalerie, et vice-versa ». Car « l’activité intellectuelle n’est simple qu’aux échelons inférieurs, (...) la difficulté augmente avec le grade » (puisque, n’est-ce pas, il est extrêmement simple de diriger un régiment de cavalerie).

Et plus loin : « le général a besoin d’un commerce familier avec les affaires de l’Etat ».

 

3/ Quelles qualités faut-il ? « L’usage du jugement dans l’observation des choses et dans la vie » (p. 132). Ce savoir « ne peut être atteint que grâce à un talent particulier, dans la réflexion, l’étude et l’intelligence : un instinct intellectuel qui extrait (...) la quintessence des phénomènes de la vie ».

Car « avec toute sa richesse, l’expérience de la vie ne pourra jamais créer un Newton ou un Euler, mais elle pourra tout à fait susciter la complexité des calculs d’un Condé ou d’un Frédéric le Grand ».

Or, on distingue là une nouvelle contradiction, me semble-t-il. Car il s’agit de la manière de sélectionner le grand général. D’une certaine façon, à suivre Clausewitz, point n’est besoin de le choisir parmi les colonels commandant un régiment, puisque les qualités nécessaires à ce poste ne conviennent pas forcément aux postes supérieurs ; mais alors, comment sélectionner ces grands esprits ? surtout quand le critère principal réside dans à l’expérience de la vie, sans qu’il soit besoin, semble-t-il, d’une quelconque expertise du domaine ? expérience de vie ? le vieillard le plus chenu serait donc, par constitution, le plus apte à commander les armées ?

Or, l’exemple même donné par CVC (Condé et Frédéric II) vient justement contredire son propos, puisque Condé et Frédéric ont justement baigné tous deux dans la chose militaire toute leur vie.

Dès lors, le savoir ne suffit plus, et il faut se reposer exclusivement sur le génie, notion abordée précédemment : mais on conviendra que cette notion du génie s’accorde mal à un discours sur la théorie de la guerre....

 

4/ C’est probablement pour lever cette contradiction que CVC en vient aux paragraphes suivants. « Le savoir doit devenir puissance d’agir », il « doit cesser d’être un objet extérieur à l’intellect, il doit avoir été pleinement assimilé ». Clausewitz plaide ici pour une longue expérience militaire. C’est grâce à elle qu’on atteint la stratégie : car « la stratégie s’occupe des fins qui conduisent directement à la paix » (p. 133). Dès lors, « dans la stratégie (...) la théorie devra plus encore que dans la tactique s’en tenir à l’observation et à l’étude des facteurs, et se satisfaire d’aider les d’aider les officiers à acquérir cette intuition des choses etc. ».

« Intuition des choses » : quelle autre façon que de nommer le moyen d’accéder au génie ? 

 

Il reste que tout ceci est assez confus, et que Clausewitz peine à convaincre. Cela justifie que nous ayons séparé ce chapitre en deux, en y portant une attention peut-être excessive.  La hauteur de nos difficultés !

 

O. Kempf

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