Lapons et géopolitique

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Très intéressant article sur les Lapons, en page 3 du Monde d'hier (ici).

Car au-delà du cas de ces populations du grand nord, en butte aux convoitises des Suédois du sud, au-delà du fait politique qui est l'angle adopté par le journaliste du Monde (les ressorts de l'extrême-droite dans les pays scandinaves), on peut déceler une question tout à fait géopolitique qui intéresse tous les Europens.

En effet, les Lapons sont des populations "aborigènes" (selon la très juste expression de l'article) installées dans ces territoires du grand Nord depuis la nuit des temps, selon l'expression consacrée. Et ils bénéficient de droits particuliers d'exploitation du territoire et notamment des rennes. Or, des Suédois du sud s'installent dans cette région  et remettent en question ces privilèges. Seul le parti d'extrême-droite les soutient.

1/ On voit là encore une fois un conflit entre population et territoire. Ce qui est intéressant, c'est la notion d'aborigène : elle fonde le statut particulier de ces Lapons. On devine qu'il y a une sorte de considération envers une "espèce menacée", si on me permet cette expression provocatrice, mais qui vise à souligner la dimension "écologique" de l'attitude adoptée, inconsciemment, par les autorités politiques. Selon cette acception, plus que des êtres humains, il s'agit de "populations" qui "appartiennent" à la terre. Et de même qu'on protège les pandas et les éléphants blancs, on protège les aborigènes (que ce soit en Australie, aux Etats-Unis ou en Suède).
Evidemment, une telle posture "écologique" n'est pas énoncée telle quelle, et appartient au non-dit. Elle possède un sentiment de supériorité inavoué. Elle mime le fait politique sous prétexte de droit à la différence. Je veux juste souligner cet inconscient occidental qui, encore une fois, en voulant protéger le faible, témoigne d'un sentiment de supériorité.
Et il est paradoxal que ce soit l'extrême-droite qui, en brisant le tabou, pose la question politique.

2/ La notion d'aborigène est intéressante, car elle introduit un concept dans l'analyse politique, celui de l'antériorité. Cela suggère en effet que l'antériorité assure des droits. Souvenez-vous des débats oiseux au moment du Kossovo, pour savoir qui était arrivé le premier là : l'antériorité suggérait  un surcroît de droit. A-t-on réellement répondu à cette question ?

3/ Enfin, la situation lapone montre un combat politique renversé par rapport à ce qu'on observe en France, en Italie et dans toutes ces terres confrontées aujourd'hui au fait de l'immigration. Dans le cas présent, ce sont les "envahisseurs" (oui, je sais, attention à ce mot, je le mets entre guillemets justement pour ne pas le cautionner) qui sont d'extrême-droite, alors que notre représentation mentale nous fait associer ce courant politique à la défense contre celui qui vient s'installer.

4/ Tout ceci nourrit la question de l'autochtonie. L'autochtonie est caractérisée comme étant un rapport particulier d'une population à un territoire. Qu'est-ce qu'être autochtone ? Quel droit cela procure-t-il ?Autant de questions géopolitiques que le cas lapon, "cette dernière population aborigène d'Europe", nous pose.

Aborigène, antériorité, autochtonie : belles questions géopolitiques, ne trouvez-vous pas?

Olivier Kempf

Publié dans Baltique et Scanie

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